Le sort d’injustice qui a servi de trame de fond dans l’histoire de SONSON semble s’acharner sur le dit film même après sa concrétisation. C’est un jeune réalisateur fier de sa réalisation que j’ai rencontré, mais combien désappointé de l’insuccès financier de son long métrage.
Paradoxalement, d’aucuns témoignent avoir vu le long métrage SONSON ou avoir entendu parler du film. Pourtant, le concepteur du projet soutient de n’être point en contact avec les réelles retombées économiques du produit.
Aux yeux de ceux qui n’ignorent nullement les horreurs d’injustice, d’abus, de favoritisme, d’inégalité, d’irrégularité, d’iniquité, de malveillance, de déloyauté envers les démunis et les sans voix qu’ils côtoient régulièrement, le récit porté à l’écran par Jean-Claude Bourjolly n’est certainement pas une absurde histoire à controverse. SONSON est une version criante et véridique de la vie quotidienne d’une multitude d’honnêtes citoyens des quatre coins de la République d’Haïti.
Jamais une confession cinématographique m’a aussi émue et révoltée en même temps. Ceci relève du défi spirituel de ne pas rendre le mal pour le mal. Le réalisateur a très bien rendu l’aspect de la faiblesse humaine en se penchant sur la justice punitive d’un paysan victime d’un complot collectif visant à le dépouiller de ses biens. La question qui reste suspendue comme une épée de Damoclès sur la tête de chaque spectateur est la suivante : En dépit de cette impitoyable leçon qui leur a été infligée, les auteurs des biens mal acquis, les témoins-malfaiteurs ont-ils acquis une expérience de cet enseignement tiré tout droit de l’Ancien Testament : « œil pour œil, dent pour dent » ?
A tout point de vue, la réalisation du film SONSON n’est pas un « acte gratuit », bien que l’histoire manifeste une morale d’une violence de rare intensité. Car il s’agit d’une escalade de pertes de vie humaine, reliée à un seul et même fait, à laquelle le personnage principal assiste froidement. Si à un certain niveau, le réalisateur formule des doléances de déficit monétaire et d’énergie, il ne peut que s’en réjouir du capital de réflexion intérieure secrète qu’il a dû susciter depuis la sortie du film. Dans ce contexte, le traitement du « surnaturel » est plus que rentable que nous le pensons. Ce reflet accablant des bourreaux humains qui portent constamment atteinte à la dignité de leurs semblables, représente non seulement une performance créative mais aussi le degré de sensibilité d’un jeune réalisateur qui n’a pas froid aux yeux. Qu’on le veuille ou non, SONSON rentrera dans les classiques du cinéma haïtien au même titre que GOUVERNEURS DE LA ROSÉE. Écoutons ce que le réalisateur avait à nous confier.
Q. Vous semblez prétendre que le film a été acclamé par le peuple et boudé par les autres clans sociaux. Pourquoi, d’après vous ? Aurait-il matière à la culpabilité dans cette attitude ?
R. Il y a une classe d’hommes et de femmes dans ce pays dont l’éducation est à refaire. Comment expliquez-vous que des gens acceptent encore en 2006 de placer leurs servantes ou garçons de cours (bòn ou Jeran) dans le bac arrière de leur voiture (Pick-up), au soleil (32 degré) en circulant dans un embouteillage tandis qu’ils sont assis en avant, vitres montées au climatiseur. Certains persistent à vous parler en français même quand vous leur adressez la parole en créole. Ce n’est qu’une infirme partie de tout ce qui me révolte dans cette société hypocrite. C’est pour vous dire que je me fous de ces clans qui veulent rejeter ce que je fais. Je me contente de produire un travail noble et pur. Et je le ferai si c’est à refaire.
Q. Certains thèmes méritent d’être « focusés », cependant, ils sont définitivement négligés. On peut nommer : la détresse, le suicide, la solitude, la jalousie parentale. Vous avez l’étoffe d’un jeune qui est prêt à continuer de bouleverser la convention du cinéma haïtien. Ai-je tort ?
R. Vous avez raison. Il faut par contre placer ces thèmes dans leur contexte. Nous nous y rapprochons tranquillement. L’industrie du cinéma haïtien est encore jeune. Je crois qu’il faut bien réfléchir avant de traiter ces thèmes qui sont culturellement tabous, donc nouveaux pour les réalisateurs.
Q. SONSON est le nom de l’interprète principal, a-t-il été choisi pour aiguiser la conscience ? Est-ce votre signature personnelle d’anti-diffuseur qui concentre, condense toute l’histoire sur un seul personnage ?
R. Effectivement, c’est ma signature, cela a engendré pas mal de discutions, et j’aime ça.
Q. L’histoire de SONSON se rapporte à un « flash back », un souvenir qui remonte à plusieurs années. Pour un jeune scénariste, quel a été l’élément déclencheur ?
R. Tout s’est déclenché à partir d’une blague.
Q. L’événement se déroule dans un milieu rural. Les acteurs semblent être dans leur milieu ambiant. Comment avez-vous procédé pour le « casting » ?
R. Justement ! Le naturel des personnages est imputable à leur professionnalisme. Ce sont des gens du métier et qui savent respecter les consignes d’un réalisateur.
Q. Pour des raisons promotionnelles, voulez-vous identifier les différents lieux de tournage stratégique du film ?
R. Quelques scènes ont été filmés à Lhomond, (Route Nationale No.2 sud), puis à Saint-Marc, Giyon (Saint-Marc), ensuite aux Cayes, à Port-au-Prince et Croix-des-Bouquets.
Q. Les réalisateurs haïtiens commencent à sortir du sentier battu des films d’action portant sur le gangstérisme. Ils se penchent de plus en plus sur le genre « surnaturel », la parapsychologie. Quel avenir est réservé à un film comme SONSON, 11ième COMMANDEMENT et DESTIN NOIR (un film de Pierre S. Junior) ?
R. Pour Sonson, je crois que la grande majorité du public a déjà décidé de faire un choix d’appréciation. Malheureusement je n’ai pas encore vue Destin noir ; mais pour un film dans le genre de 11e commandement, je ne suis pas certain que l’approche puisse vraiment surprendre le public qui connaît déjà la façon de penser et de réagir des siens quand ils fait face au facteur de la violence.
Q. SONSON a été sélectionné parmi les films projetés au Festival International du Film Haïtien. Le fait que la plupart des films ont déjà été vus par le grand public, croyez-vous que cela pourrait refroidir l’enthousiasme des spectateurs ?
R. En aucun cas, le film est vu par plus de monde qu’on le croit. Et le fait de le projeter dans des festivals le rend encore plus populaire. C’est mon avis. Il faut souhaiter que le tout se fasse de façon légale en respectant mes droits d’auteur.
Q. La femme joue un double rôle dans l’histoire du film. Elle occupe une place d’autorité où l’homme manifeste une certaine crainte, alors qu’elle ne fait pas preuve d’une bonne influence sur ce dernier. Est-ce une façon de signaler que chaque femme incombe la responsabilité de guider son époux et non pas de devenir son complice dans ses mauvais agissements ?
R. C’est une façon de voir, elle pouvait aussi bien collaborer et avoir une tout autre image, jouer un rôle différent.
Q. Si on parlait des angles de vulnérabilité observés dans la dynamique du cinéma haïtien. Comment expliquez-vous le très faible taux de participation du grand public au second festival du film haïtien à Montréal, alors que ce même public s’entiche des produits du 7ième art ?
R. La pauvreté, notre communauté est pauvre et la plupart des fidèles amateurs de cinéma travaillent la semaine et sont au bout du rouleau une fois de retour à la maison. A mon avis, c’est ce qui explique ce faible taux de participation du public Haïtien. Il n’empêche que plusieurs membres des communautés ethniques sans oublier les québécois, les canadiens qui ont apporté leur support.