Mise à jour le 26 septembre
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Samedi 14 d&ecute;cembre 2024 14:11 (Paris)

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Entretien avec Roland Brival

Homme de lettre primé, plasticien confirmé et musicien avant tout, Roland Brival a le verbe haut et la culture caribéenne en point de mire. Sa philosophie récurrente pour le devenir de sa région natale, parle de la prise de conscience des richesses culturelles qui nous habitent pour mieux la placer dans la dimension internationale actuelle. S’il était politicien on se laisserait aller au vote en sa faveur. Seulement il se refuse à porter la "cravate de convenance" et ne sait pas manier la langue de bois. Tant mieux pour nous ! Ses réflexions sont d’une trop grande sagesse pour finir sur l’étale d’un meeting politique.

Les musiques antillaises actuelles sont faites au km. C’est à dire, même rythme, même thème, texte un peu cul-cul. Comment estimes-tu cette nouvelle génération qui se préoccupe plus de la forme que du fond, alors que du temps de la biguine, la musique était autant festive qu’informative ?

Tu amènes ça avec des critères qui appartiennent à l’analyse, au raisonnement intellectuel. Il faut comprendre que lorsque l’on aborde le territoire des Antilles... il faut le dire... on a à faire à un pays du quart monde, en évolution et totalement traumatisé dans son histoire, dans sa culture. C’est un pays en lambeau qu’il s’agit de reconstruire. Il m’est arrivé de faire des coups de gueule et de dire "les gars arrêtez." Mais aujourd’hui c’est une autre étape du débat. Il faut plutôt se demander "pourquoi, quelles sont les vrais raisons" de cet état ? Si on ne réagit pas quelque chose de plus grave risque de se passer. Si on prend l’exemple du disque Waka au niveau des médias on a eu Le Monde, Jazz Magazine et beaucoup de presse médiatique. Malgré ça, il n’est pas distribué dans les Antilles. Pourquoi ? Réponse des distributeurs : « c’est quoi ça, c’est pas du zouk, qu’est ce que tu veux que je fasse avec ça, à qui tu veux que je les vende ? » Donc, les mecs bloquent le secteur. C’est avant tout un problème économique. Il y a vraiment une main mise sur le circuit de l’argent par une espèce de trium vira ou de quatuor qui se partagent ce marché. Ils le font systématiquement d’une manière malhonnête, en se fichant pas mal de l’évolution réelle de la nature de cette musique. Tu rajoutes à ceci que l’on est sur un territoire brûlant où 70 % des jeunes n’ont pas de boulot. Les mecs il faut qu’ils vivent, ils ont besoin de se sentir exister. Alors ils débarquent dans un studio, font trois accords, sortent un album. Pendant un moment ils ont l’impression d’exister. Oui mais le type qui tient le studio il a gagné du fric. Il ne lui a pas dit « avec ton album t’as aucune chance. » Il l’a délibérément laissé s’endetter pour faire son disque. Ensuite le distributeur, il ne lui dit pas non plus que c’est mauvais. Non ! Il lui dit « maintenant on va faire des sous... t’as mis zizi panpan là dedans, t’as mis sexe, t’as mis cul ? Bon ben maintenant on va le matraquer sur les radios. » Il faudrait des garde-fous, des intellectuels et de gens conscients pour se poser comme rempart ou comme négociateur pour faire des passerelles et faire avancer les choses. Chacun s’occupe de son business dans son petit coin. Finalement, les Antillais à force de se tirer la couverture entre eux, ils finissent tous par avoir froid au pied. Et là, on va vraiment dans un endroit qui devient dangereux. Prends le cas de Ti Raoul qui fait du Bel ère et qui le plus grand chanteur traditionnel de la Martinique. Je l’ai présenté à Avignon au Cloîtres des Célestins il y a quelques années. Il a eu droit à un standing ovation. Les gens sont venus pensant que j’étais producteur de quoi que ce soit en me disant « comment ça se fait que ce type on ne le connaît pas ? » Ce type là ne devrait pas être chez lui huit mois de l’année. Il devrait être au Japon, en Allemagne, partout ! Lui il sent qu’il faudrait qu’il voyage, mais il ne peut pas car il n’y pas d’agents qui s’occupent de cette musique, car c’est le reste qui les intéresse. Ils n’ont toujours pas compris que le traditionnel pourrait leur permettre d’aller beaucoup plus loin, de gagner beaucoup plus d’argent. Les gens ne se rendent pas compte que si le tourisme est en train de se casser la gueule, c’est parce que ces pays n’ont plus rien à présenter aujourd’hui au niveau du sens culturel.

Tu as dit : « les gens ne viennent pas dans un pays uniquement pour du chéri et du doudou mais aussi pour la culture en général. » Penses-tu que ton pays est immobilisé dans le cliché ?

Oui totalement ! Et je pense que ce qui nous empêche d’aller plus loin c’est le manque de synergie entre les différentes strates de la société. Il faudrait créer une forme de collectif qui puisse provoquer cela.. Il ne s’agit pas d’agir seulement sur la musique. Il faut comprendre que ces pays ont besoin d’être repérés au niveau de leur signification. Je vais bientôt faire un reportage pour un magazine, dans lequel je ne vais pas parler des choses habituelles. Je vais établir une carte de randonnée avec des focus sur des lieux où il s’est passé quelque chose. Tout ça pour que les gens voient plus loin que le Rocher du Diamant, les Trois Îlets, puis qu’ils commencent à bronzer en attendant les serveurs. Il faut un rapport d’intelligence entre les gens. Si on veut, par exemple, faire monter le tourisme en Martinique il faut que l’Office qui en a la charge replace dans le contexte actuel toute l’importance qu’a eu la Caraïbe dans son développement culturel. Tu savais toi que toute la cuisine antillaise est basée sur la cuisine caraïbe ? Quand tu vas manger un matoutou crabe, le plat traditionnel du pays, c’est un plat caraïbe. Ce ne sont pas les marrons qui ont amené ça. Les techniques de pêches, la voile carré des gomiers : caraïbe ! Ce n’est pas seulement un pays qui vient d’Afrique, il vient aussi d’Amérique du Sud.

Tu dis que "la musique antillaise est le point de jonction, le chaînon manquant entre les Etats-Unis et la France." Tu trouves que la musique antillaise est assez présente aux Etats-Unis ?

Pour l’instant le groupe le plus vendu du marché français dans le Nouveau Continent et même ailleurs, ça reste encore Kassav. Ca c’est une des preuves que ce que nous sommes capables de faire peut avoir des conséquences économiques considérables pour le marché français. On ne va pas évoluer si on aborde le système hexagonal sur une problématique à la Johnny Hallyday, sur un système de variété à la Henri Salvador. Johnny Hallyday il vend dans l’Hexagone et quand il dépasse les frontières de la Belgique, il n’y a plus rien ! Pourtant on est dans un pays où les frontières sont en train de tomber. Les 26 pays qui forment l’Europe, notamment les nouveaux, ils débarquent, ils ont faim. Ils ont de la musique dans les dents, et puis ils ont du matos et puis ils sont créatifs. Ils ne sont pas là comme nous, engorgés dans le luxe de la vie citadine. Ces gars vont arriver avec des gourdins et des kalachnikovs pour prendre le terrain. Parce qu’ils ont envie de vivre et on leur ouvre la barrière. Vis à vis d’eux on a quoi pour prétendre que le marché de la musique en France il ne va pas s’écrouler ? Bien sûr qu’il va s’écrouler ! Surtout s’il ne se dépêche pas de faire des choix cohérents par rapport à une vision internationale de la musique et de ce que nous sommes capables de produire à ce niveau là. Ce n’est pas le moment de se protéger, c’est le moment d’investir. Parce que si le marché est en train de casser la gueule, c’est à cause des choix d’artistes bidons signés dans les dix dernières années, à qui du on a filé un fric absolument monstrueux pour produire des albums sur lesquels il y a un titre et tout le reste c’est du pipeau. Justement, j’étais sidéré d’entendre Eddy Mitchell déclaré à la radio il y a une dizaine d’années : « une bonne chanson, ça se travail d’une certaine façon pour plaire au public. Mais quand on en a quatre, on ne les met pas toutes dans un disque. On va en choisir une sur laquelle on va travailler à fond et les autres on va les garder pour un prochain album. » Non mais attends, ils vont parler comme ça maintenant à un auditeur d’aujourd’hui, à un acheteur de disque ? Ce n’est pas possible, car tout a évolué. Le mec il débarque sur internet, il télécharge TON titre et TON album tu vas te "mouiller" avec. L’acheteur d’aujourd’hui vit dans une société métissée. Il est au courant de tout, il connaît aussi bien le rap mexicain que la musique indienne. Tu ne peux plus lui raconter n’importe quoi.

Sur le site de ton éditeur, Phébus (http://www.phebus-editions.com) , il y a cette phrase « l’heure où tant de frilosités, de peurs, nous convient au repli (c’est-à-dire à la mort), il demeure un partisan convaincu de l’effraction. » Qu’entends-tu par cette phrase ?

Toutes les effractions, quelles soient mentales ou culturelles. Pour faire évoluer les choses il faut se donner aux autres mais surtout prendre sur soi mais de façon complète. Se battre pour ses idées, pour ses convictions, à condition qu’elles s’inscrivent dans un intérêt commun. On a qu’une vie, elle ne dure même pas un siècle. Nous sommes là pour préparer des transitions pour les générations à venir. Pas pour perpétuer le problème, mais au contraire pour chercher à l’ouvrir et à le résoudre. Il faut faire une effraction sur toi pour trouver la porte, trouver la voie.

Ce qui me vient à l’esprit en t’écoutant, c’est de savoir d’où te vient cette position décomplexée ?

Il a fallu que j’arrive à la cinquantaine pour me positionner de cette façon là. Il y a vingt ans je disais les même choses mais j’étais plus agressif, parce que j’avais peur. Je croyais que la force c’était la vitesse. Alors qu’en réalité c’est la puissance qui compte. Elle s’apprend dans la lenteur, dans la profondeur. Tu pourrais comparer ça à l’usage du rythme. Les jeunes qui abordent cette discipline, ils vont te faire des trucs techniques et rapides en croyant que ce sera plus vigoureux. Pas du tout ! Les rythmiques les plus complexes, les plus difficiles, les plus dévastatrices sont les tempos lents et médiums. Allez vite c’est super mais tu ne tiens pas jusqu’à la 6ème mesure. Il faut prendre le temps d’évoluer. Vois-tu, il y a des écoles de musique qui apprennent à leurs élèves à jouer par cœur des solos de Coltrane. Mais Steve Potlz (ex chanteur du groupe de rock The Rugburns) disait « que ce que l’on a donner avec le cœur dans la musique, ne s’apprend pas dans les écoles. »

La suite ?

Je veux aborder aussi le territoire électronique, qu’on soit en phase avec l’évolution des choses. Ce n’est pas une histoire de mode. La musique mût en même temps que les perceptions et l’auditeur. Nous sommes tous des mutants, la technologie introduit des choses différentes à l’intérieur de nous. Il nous faut raisonner différemment. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut abandonner l’acoustique pour autant. Elle devient d’autant plus nécessaire, qu’elle est le facteur humain. C’est qui est devenu la chose la plus rare aujourd’hui à défendre. Mais d’un autre côté, l’école du groove, de l’électro, de l’électro jazz et de tout ce genre de chose, ça compte aussi. Ca fait aussi parti de l’univers du son d’aujourd’hui. Une même musique doit pouvoir passer par de nombreuses formes de mariage pour évoluer. A condition que l’on ne soit pas en train de parler de mariage de variété bien sûr.

Œuvres Récentes :

- Créole Gypsy, Isma’a records, 02/04/02, disque
- Waka, Isma’a records, 28/01/03, disque
- Coeur d’ébène, pébus éditions, 27/05/04, roman, ISBN 2-85940-994-7, 228 pages

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