El Fondo est un trou, comme son nom l’indique assez bien. Il est situé au sud de la ville de Barahona, dans le prolongement des fertiles montagnes du Baoruco (...)
Le village se trouve au cœur de l’intersection d’une route délabrée avec un chemin montagneux et rocailleux . Quel que soit le chemin que l’on emprunte, El Fondo est d’abord perçu d’en haut. Il s’agit vraiment d’une crevasse dans la chaîne montagneuse. Ces quelques lignes, extraites du livre de Rénald Clérismé, pourraient faire penser au début d’un récit de voyage ayant pour cadre le sud-ouest de la République dominicaine, mais la suite présente une autre problématique...
C’est un trou d’enfer, un enfer vivant pour les immigrants qui viennent soit d’Haïti, soit des plantations sucrières dominicaines pour y vendre leur sang. C’est à l’explication des conditions de cette oppression d’un autre âge que l’auteur consacre ses recherches.
Et il nous propose un itinéraire tout à la fois anthropologique, historique et géographique, les domaines d’étude s’éclairant mutuellement. La mise à jour des dispositifs idéologiques, liés bien souvent aux pratiques magico-religieuses, est au centre de la démarche, Rénald Clérismé s’employant avec rigueur à montrer les relations entre les « représentations » et les réalités de la vie sociale et politique. Mais cette analyse n’a rien d’abstrait puisqu’un cortège de personnages haut en couleur anime l’ouvrage ; emmené par le terrible Don Luis, propriétaire de la plantation caféière d’El Fondo, cette galerie de portrait qui mêle exploiteurs et victimes donne une épaisseur concrète à la démarche entreprise ici, un des objectifs poursuivi par l’auteur étant de comprendre la vie des êtres réels, souvent oubliés par les institutions.
La situation même d’El Fondo, localité proche de la frontière haïtiano-dominicaine, requiert aussi une approche historique qui montre la complexité des rapports de forces fluctuant entre les deux parties de l’île depuis la colonisation -revenant longuement sur le massacre de 1937- et explique en grande partie la hiérarchie actuelle des groupes humains présents dans cette région. La dimension géographique permet enfin d’éclairer les facettes multiples de la frontière : à la fois lieu de passage vitalisant les échanges et barrière tragique qui dresse les communautés humaines les unes contre les autres. Est-il juste de dire que la frontière partageant l’île en deux Etats-Nations campé chacun de part et d’autre des limites héritées de la rivalité des empires français et espagnol est le véritable sujet du livre ? Il faut lire les pages consacrées à l’histoire de cette frontière pour bien comprendre les réalités sociales et l’organisation territoriale des deux pays, notamment la force des préjugés raciaux qui ont permis la constitution de deux Etats si proches et pourtant si différents [1]. Si un grand nombre d’ouvrages économiques, sociologiques et historiques est consacré aux oppositions entre pays du Sud en souffrance de développement et contrées du Nord hyper développées, les contrastes à l’intérieur même de l’ensemble des pays du Sud sont, par contre, peu explorés ; le livre de Rénald Clérismé vient donc combler ce manque en proposant une contribution essentielle à une approche riche et différenciée des situations de sous-développement. Indicateurs géographiques et socio-économiques.
HAÏTI REP. DOM Superficie (km2)27 750 48 000 Population (en milliers) 8 270 8 507
J. GUSTARIMAC//cE