Une semaine après son intronisation à la primature, Garry Conille devait déjà s’expliquer devant le parlement. Véritable fusible du chef de l’État, le Premier ministre doit colmater toutes les brèches et réparer les bévues commises. Moins de trois semaines du jour J, soit le 18 novembre, Le PM et son ministre de l’intérieur ont été invités à fournir des explications sur la reconstitution des forces armées. À deux reprises, M. Conille a demandé, selon le président du Sénat, de reporter la rencontre. Les sénateurs devront donc patienter avant d’avoir les explications voulues.
D’aucuns soutiennent que cette invitation lancée au Premier ministre fut précipitée et n’a pas suivi la procédure normale. Au sénateur Bien-aimé de rétorquer : « je suis au sénat de la République, je connais pratiquement la position de tous les sénateurs par rapport à chaque dossier ». La position du sénateur Youri Latortue président et celles des membres de la commission justice du sénat, poursuit-il, ne diffèrent pas sur la question de l’armée. Ils représentent le même groupe d’intérêt. Cette manière de procéder viserait, dit-on, à éviter tout blocage de la part de parlementaires qui dans un souci de protéger leurs arrières se dresseraient contre cette invitation.
« Nous avons envoyé la lettre au président du sénat, il lui revient de savoir s’il l’envoie ou pas à la commission » explique l’élu du Nord-est. C’est le moment ou jamais, martèle Bien-aimé, vu que le ministre de l’intérieur avait précisé que le 19 novembre, le pays se réveillera avec une armée. « Si nous voulons respecter notre mandat c’est maintenant qu’il faut agir pour contrôler les actions de l’exécutif », a-t-il insisté.
Les rumeurs entourant une certaine milice rose, tendent de plus en plus à se confirmer. Bien que des proches du président en démentent l’existence, les sénateurs s’inquiètent. M. Bien-aimé s’est dit déterminé à s’informer sur les raisons pour lesquelles des hommes s’entrainent un peu partout. « Après le règne de terreur instauré dans les années 90 et les souvenirs douloureux laissés par le Front pour l’avancement et le progrès d’Haïti (Fraph), il faut que l’on soit clair sur les projets du président » a martelé M. Bien-aimé avant d’ajouter que les priorités de l’heure sont : la reconstruction, l’éducation et la lutte contre la faim.
Cette invitation selon les initiateurs ne constitue nullement une fuite en avant et encore moins une attaque indirecte contre le président. « La bonne volonté du chef de l’Etat ne suffit pas. » Le sénateur Bien-aimé rappelle que M. Martelly n’est pas seul maitre à bord, il ne peut donc décider seul. Le parlement, co-dépositaire de la souveraineté nationale, a son mot à dire dans la reconstitution de cette force a déclaré hargneusement le sénateur.
Que veut le président ?
Pour un président de La République qui n’appartient à aucune mouvance politique, la tentation de transformer l’armée en Parti politique est, dit-on, grande. Un État major jusqu’ici inconnu des représentants du peuple va-t-il se gêner pour interférer dans les affaires politiques ? Pas sûr ! Les craintes que cette nouvelle armée ne se transforme en gouvernement parallèle trouvent donc leur fondement dans les irrégularités et l’opacité qui accompagnent la démarche de la présidence.
Seul contre tous, sinon ses amis et son staff, le président lance un énorme chantier. S’il est vrai que la remise sur pied de cette nouvelle force de sécurité constituerait un grand pas vers le recouvrement de notre souveraineté, la méthode utilisée inquiète. Construire une armée fantoche, n’est pas une solution aux problèmes de sécurité. La première démarche devait être selon certains spécialistes, une demande formelle de lever de l’embargo sur les importations d’armes pris contre le pays depuis l’année 2003. Le président est allé trop vite en besogne. Des hommes qui s’entrainent à tirer avec leurs doigts, comme des enfants en bas âge qui jouent aux cowboys, sont des frasques indignes d’une institution de cette envergure.
Déjà la police est sur le qui-vive. Le plan du président viserait à désarmer ses unités spéciales pour armer les nouvelles troupes. Les principales unités visées sont le CIMO et le SWAT. Cette situation serait à la base des tensions entre le président et le chef de la police. Avec autant d’incertitudes, le président respectera-t-il le délai fixé ? Dans de récentes déclarations faites sur les ondes de scoop FM, M. Martelly a rappelé que l’arrêté présidentiel qui doit sortir, aura comme effet de rentrer celui préalablement pris par le président Jean Bertrand Aristide et qui avait démobilisé les forces armées. Quand à la nouvelle armée, elle ne sera pas tout de suite opérationnelle, a-t-il précisé.
L’armée d’Haïti est en veilleuse depuis 1995, pourtant des hommes en tenue militaire et lourdement armée circulent déjà, rapporte-on, dans les rues de la capitale. Est-on déjà devant une situation de fait accompli ? Garry Conille devra en répondre.
Lionel Edouard