Rentrée au pays en 1986, l’espoir plein mes poumons, avec un grand rêve : en 2004, Haïti sera le Centre historique et culturel de la Caraïbe.
C’ÉTAIT POSSIBLE
En effet, au départ des Duvalier, nous avions en mains tous les atouts. Le pays était en situation de force pour se développer : le monde offrait ses services. L’UNESCO en tête, avec ses projets de flagellation du système esclavagiste. Elle avait choisi Haïti -où l’abolition avait été proclamée en 1789 - pour inaugurer en grandes pompes, en 1989, sa Route de l’Esclave et le Musée de l’Esclave. (J’avais suggéré de faire ce Musée au Palais aux 365 portes abandonné. Mais, les gouvernants étant désintéressés, l’UNESCO va le faire à Cuba).
Le Serment du Bois-Caïman (1789) forçait à protéger et développer la ville historique du Cap. 1992 serait déclaré Année de l’Indien avec expositions d’art taino ; 1993 année de l’abolition de l’esclavage.... Ainsi, en 2004 Haïti tape kanpe. Je ne voyais pas comment en 2004, Haïti ne serait pas le Centre historique et culturel de la Caraïbe.
Imaginez ma profonde déception :
de voir gouvernement après gouvernement anéantir toutes les superbes opportunités qui s’offraient et le pays descendre jusqu’à nous voir patauger dans une boue puante !
de constater que les droits de l’homme-pour lesquels on avait tant lutté - étaient impunément bafoués. Tandis que l’on danse le carnaval, des macoutes invisibles exercent violences physiques, emprisonnements, expulsions, kidnappings...
de réaliser que, concernant la corruption, alors que la famille Duvalier et quelques proches étaient seuls à piller les caisses plutôt pleines de l’Etat, la corruption s’est tellement généralisée que l’on se demande quel élu aura assez de force pour la combattre, voire y mettre fin.
de vivre jour après jour la destruction physique du pays :’exploitation anarchique de carrières de sable, bidonvilisation sauvage des mornes dominant la capitale et Pétion-Ville, alors qu’à mon arrivée en 1986 ces mornes étaient boisés, verdoyants, non bâtis.
Quant à la division, Il suffit de mentionner que, malgré ce drame du 12 janvier, on a eu 70 partis politiques et 39 candidats à la présidence pour réaliser qu’il n’y a aucun accord, aucun regroupement. Et tous se disent nationalistes, alors qu’ils sont presque tous égoïstes, égo-centristes. Malgré tous les appels pressants du Konbitisme : pas de konbites nationales de développement, pas de konbites de construction. Les gouvernements sont activistes, populistes, rongés par la haine et l’esprit de vengeance. Au lieu d’un Mendela, pacificateur, unificateur, nous avons eu des génies de la division ; au point de voir aujourd’hui notre indépendance menacée à cause d’élections frauduleuses.
A l’écoute de Marie France Claude , (entendue à radio Kiskeya le 21 janvier)Comme moi, elle est moins intéressée à juger Jean-Claude Duvalier qu’à porter plainte contre ceux qui lui ont succédé, à évoquer les crimes qu’ils ont commis contre ceux qui ne pouvaient fuir :
l’utilisation de l’odieux Père Lebrun, les destructions et pillages sauvages ; sans oublier les bastonnades, emprisonnements, expulsions de journalistes....
Elle a mentionné évidemment les multiples assassinats dont celui de son père, celui de Jean Dominique. Elle a aussi dénoncé la bidonvilisation de la capitale et celle des mornes qui dominent la capitale et Pétion-Ville : assassinat physique qui enlève toute possibilité de développement de ces deux villes.
A l’écoute de Liliane, (vue et entendue à Télé nationale après l’arrivée de Jean-Claude Duvalier).Comme moi, elle pense que nous n’avons pas rempli notre devoir de MÉMOIRES.
En 1986, on avait invité le Gouvernement à faire du Fort Dimanche un Musée des horreurs commises par les Duvalier. Il y avait eu une exposition à la Mairie de milliers de photos de victimes des Duvalier. On les aurait placées à ce Musée et ajouté tous les témoignages écrits- comme ceux que l’on fait aujourd’hui à travers tous les médias.
Si les avocats avaient invité les victimes à venir déposer leurs plaintes et, plus avant, à les renouveler, les successeurs des Duvalier auraient réfléchi à deux fois avant de violer les droits de l’homme, sachant qu’ils pourraient être accusés de crimes contre l’humanité, avec menace d’être jugés au tribunal international de la Haye. Et nos jeunes, ayant sous les yeux ces horreurs, n’auraient pas crié : « Vive Duvalier ».
Pour moi, la déception est énorme ; la blessure incurable. Oui ! Je suis profondément affectée et c’est avec peine que je continue la lutte pour un pays dans lequel les dirigeants ne pensent pas pays. J’ai énormément de difficultés à accepter cet assassinat physique du pays et celui de mon rêve ; encore moins cette persistante division au niveau politique. Ceci en dépit des menaces exprimées par nos Grands Voisins et qui impliquent la perte de notre fierté légendaire, de toute dignité et celle, progressive, de notre souveraineté.
Cela ne m’intéresse plus de juger Jean-Claude Duvalier. Je suis malade à cause surtout de ce que j’ai vécu et vis encore dans l’après-Duvalier. Je me dis que Jean-Claude est venu au pouvoir à 19 ans, dans un système sanguinaire établi par son père et qu’il est parti refusant le bain de sang que voulait son entourage. Il a au moins cela à sa décharge.
Tous mes combats de 27 ans d’exil et tous mes rêves de 1986 ont été ASSASSINES par les successeurs des Duvalier. Qu’ont-ils à leurs décharges ? Est-ce pays exsangue ?
EN CONCLUSION :
S’IL FAUT PARLER JUSTICE, IL FAUT L’APPLIQUER A TOUS CEUX QUI ONT VIOLE LES DROITS DE L’HOMME, PENDANT ET APRÈS DUVALIER.
CEPENDANT, MALGRÉ CETTE PÉNIBLE SENSATION D’ÊTRE SOUS PRESSION DE FORCES OCCLTES, JE CONTINUE LE COMBAT EN FAVEUR DE L’UNION NATIONALE, ME FORÇANT A PENSER QU’UNE GRANDE KONBITE NATIONALE PEUT ENCORE SE TENIR POUR QUE MON RÊVE SE RÉALISE :
HAÏTI CENTRE HISTORIQUE ET CULTUREL DE LA CARAÏBE.