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7 février 1986 : Jean-Claude Duvalier, 25 ans après

Par Magloire Démesmin

Chaque fois que nous voyons Jean Claude Duvalier, dans les rues de Paris, c’est toute notre jeunesse haïtienne qui se défile devant nous, tellement cet homme a marqué notre vie. Chaque fois que nous le voyons comme une âme en peine se déambuler comme n’importe quel promeneur dans les beaux quartiers de la ville lumière, nous nous posons toujours la même question : qu’est-ce qui se passe dans la tête de l’héritier d’une dictature qui fut l’une des plus sanglantes au monde ?

Une fois, nous l’avons vu attablé « Aux deux Magots », un célèbre café parisien de la rive gauche, en plein Saint Germain des Prés, il était seul. Il semblait être plongé dans une intense réflexion qui absorbe toute son énergie, absent, le regard vide, l’homme avait l’air vraiment d’être dans un autre monde, perdu, mélancolique voire même taciturne, son visage dit une tristesse qui n’a de nom. Comme dit le poète « les grandes tristesses sont muettes ».

Nous le regardons sans qu’il nous aperçoive, et nous avons décidé de rentrer à notre tour, pour le regarder de près, l’observer, le jauger. Nous prenons une place en face de lui.

Comprendra-t-il notre petit manège ? En tout cas, il semble d’avantage préoccupé par ce qui se passe au dehors que dedans. L’inaccessible président à vie que l’on a connu à Haïti, toujours entouré d’une garde prétorienne armée jusqu’aux dents, est là comme un vulgaire citoyen en train de boire son café comme monsieur tout le monde.

Tout à coup, une centaine de questions nous passent par la tête et que nous avons toujours envie de lui poser. Mais, voilà que l’ex président s’est toujours comporté d’une manière tout à fait inacceptable, refusant de donner interview aux journalistes haïtiens, mais s’est prêté de bonne grâce aux questions des journalistes étrangers et français. Une fois de plus, il exclut ses compatriotes.

D’abord, s’agit-il vraiment de Jean Claude Duvalier ? Nous doutons, mais il faut bien se rendre à l’évidence qu’il est bel et bien là. Il est assis sur une chaise au décor design. Devant lui, sa tasse de café terminée au milieu de plein de gens qui, manifestement, ignoraient qui il était. Il somnolait de temps à autres et se réveillait par intervalles réguliers avec les bruits des cuillères. Est-ce bien lui ?

Des souvenirs précis nous reviennent. Lors de la naissance de Michèle Aia le 1er Décembre 1984, on ignorait pour quelle raison, la police est intervenue avec une brutalité inouïe bloquant le Bois Verna pendant plus de deux heures, parce que, tout simplement, le chef de l’Etat devait traverser le quartier pour aller voir sa fille à l’hôpital du Canapé Vert. Militaires et tontons macoutes compris ont envahi la zone, les élèves sont restés cloîtrés dans leurs établissements respectifs. Parfois, nous arrivions à l’école en retard, parce que, tout simplement, le maître du pays allait sortir, il ne fallait pas s’aventurer dans les rues.

Autres souvenirs, aux Gonaïves, le fils de papa Doc devait effectuer une visite officielle à la ravine à Couleuvre. Trois jours avant son arrivée, la chasse aux soi-disant opposants étant ouverte, le préfet de la circonscription, qui n’est pas une lumière, ordonne de jeter en prison pas moins de vingt jeunes garçons accusés d’être des communistes. Ah ! Dieu !, que ce mot a fait de ravages dans ce pays ! Le jour J, Jean Claude Duvalier est arrivé avec une caravane, composée d’au moins une cinquantaine de voitures. Malheur à ceux qui ne sont pas rendus sur la place pour accueillir le président, tout le monde doit être sur la place des Gonaïves, nous sommes en 1984. Un fou a décidé de faire de la résistance, il s’est assis en forme de provocation sur sa galerie. Malchance, le président passe, sa femme à ses côtés, et, comme d’habitude, par réflexe, ce dernier envoie de l’argent depuis sa voiture. L’impertinent se lève et laisse tomber des liasses de billet. Dix minutes après, une escouade de tontons macoutes est venue l’arrêter, il est resté cinq jours emprisonné aux Gonaïves, puis transféré à Port-au-Prince.

C’était cela le duvaliérisme, un régime intolérant, une dictature qui n’accepte aucune divergence. N’en déplaise à monsieur Rony Gilot, ancien ministre de l’information qui confond allègrement, dans son livre, histoire et hagiographie, propagande et fait avérés ; pas un mot, dans son ouvrage, sur Fort dimanche, sur ses compatriotes qui y ont laissé leur vie, bref un livre sans importance historique, dont le seul mérite est de restaurer l’image d’un régime qui a fait, en trente ans, plus de 50,000 victimes.

Jean- Claude Duvalier en voie de clochardisation. D’ailleurs, nous ne l’aurions pas reconnu si nous ne l’avions pas vu, deux mois auparavant, dans un restaurant haïtien en banlieue parisienne à Clichy, nous sommes en 1998.

Ce fut sa première sortie officielle auprès de ses compatriotes à Paris. Inconsciemment, l’image du président à vie, récitant ses discours comme un acteur de théâtre, est resté figée dans notre mémoire. Visage poupin, grosse moustache, une voix nasillarde, tel fut Jean Claude Duvalier en occupant tout l’espace à Haïti. Lui et ses tontons macoutes jetèrent en prison ceux qui n’avaient pas la même opinion qu’eux. Quand le restaurateur haïtien, devant une salle archicomble, présenta son hôte qui était assis à ses côtés, stupéfaction !, nous n’étions pas seuls à ne pas l’avoir reconnu. L’ex dictateur est méconnaissable (...) . D’un geste machinal, nous avons enlevé nos lunettes, nous les avons essuyées pour voir si l’image que nous avions devant nous correspondait à la réalité. La voix nasillarde, qui fut sa marque de fabrique, a quasiment disparu pour faire place à celle d’un vieillard. Visiblement, notre homme paraissait malade et avait dû mal à articuler.

Quelle vie, quel contraste entre l’ancien homme fort d’Haïti, tout puissant, qui avait droit de vie et de mort sur ses compatriotes, et le parisien qu’il est devenu, toujours presque seul. Après avoir mené une vie de pacha sur les côtes d’azur, en dépensant sans compter, celui qui avait régné sur Haïti pendant plus de 14 ans est ruiné. Il a pris la poudre d’escampette, le 3 Novembre 1995, en laissant des ardoises un peu partout sur la Côte d’Azur, plus de 110000 francs, au point que l’association des commerçants de la région avait fait passer le message de ne plus vendre à l’ancien chef de l’Etat Haïtien. Par ailleurs, le propriétaire d’un restaurant l’ange Bleue à Nice avait porté plainte contre Baby Doc au parquet de Grasse, plainte qui n’a pas eu de suite. C’est à cette époque que Baby Doc s’est définitivement évanoui dans la nature pour refaire surface en banlieue parisienne, c’était le 13 Novembre 1995.

Quelle descente aux enfers ! Son statut de paria en France a largement contribué à sa pauvreté, contraint d’utiliser des prête-noms, pour tout ce qui relève de l’administration, et d’investir son colossal magot (entre 600 et 800 millions de dollars) qu’il a détourné dans les caisses haïtiennes. Son non statut est lié à la manière qu’il est rentré sur le sol français le 8 Février 1986, quand il est arrivé à Grasse. Immédiatement frappé d’un arrêté de reconduite à la frontière pour séjour illégal. Allez comprendre, officiellement les autorités françaises recherchent toujours un pays d’accueil pour son hôte, mais voilà personne ne veut recevoir cet encombrant personnage. Malgré de l’argent mis sur la table par Laurent Fabius, alors premier ministre, personne ne bouge, peine perdue.

Dans son livre « les blessures de la vérité », le deuxième premier ministre de François Mitterrand affirme : « Les Etats-Unis frappaient à toutes les portes pour trouver une terre d’asile pour Baby Doc, des sommes considérables ont été offertes au pays qui acceptait de le recevoir. Mais la partie n’était pas facile, car les pays, qui se portèrent volontiers candidats pou l’accueillir, étaient ceux d’Afrique, ceux dont justement la femme du dictateur, Michèle Bennett, ne voulut pas entendre et refusa toutes propositions qui ne soient pas un pays occidental. D’autres pays, comme l’Espagne en Europe, ont été consultés, mais ont décliné l’offre, arguant que leurs opinions publiques n’accepteraient pas. Or, en Haïti, le face à face entre les derniers mohicans du duvaliérisme, les tontons macoutes et les manifestants qui commencèrent à brûler les écoles, pouvait dégénérer à tout moment ».

En tout cas, le piège s’est refermé littéralement sur le Gouvernement de Laurent Fabius qui avait appelé les américains à respecter leurs engagements. Peine perdue, ils sont devenus amnésiques, et Baby Doc est toujours en France. Et l’ancien premier ministre, vingt deux ans après, de constater : « Duvalier, qu’on ne peut tout de même pas faire repartir de France, pour le lâcher du haut d’un avion en pleine mer, reste chez nous. L’opposition haïtienne, devenue majoritaire, proteste contre notre accueil mollement d’ailleurs. Les organisations françaises des droits de l’homme nous accablent. Les Etats-Unis s’en lavent les mains. Et nous, nous les défenseurs des droits de l’homme, nous passons pour des incohérents et des menteurs ». Le droit d’asile, qui ne devait pas excéder huit jours, est de toute évidence un v¦u pieux. Entre les autorités françaises et son avocat, l’un des ténors du barreau parisien, Maître Vaisse, le statut juridique de l’ancien homme fort d’Haïti, quelle que soit la couleur des autorités qui dirigent la France, fait débat. Mais Baby doc est toujours un sans papier, donc vivant illégalement sur le territoire, au point que, de temps à autre, la polémique enfle.

Ainsi, après l’arrestation de Pinochet, des associations françaises et haïtiennes ont-elles décidé de remettre sur le tapis le cas de Duvalier réfugié en France. Dans un premier temps, elles ont déposé une plainte pour crime contre l’humanité, l’affaire est encore à l’étude, donc au point mort. Jean Claude Duvalier pensait s’en tirer à bon compte, mais c’était sans compter avec la ténacité d’un Gérald Bloncourt qui jure, tant il est vivant, que Jean Claude Duvalier doit savoir qu’il doit rendre des comptes. En 1998, le débat autour des sans papiers a attiré les foudres des militants des droits de l’homme dont un français, Jacques Samyn, ami des haïtiens qui a décidé de faire un pied de nez au ministre de l’intérieur de l’époque, Jean Pierre Chevènement. Il contacte un panel de députés et de sénateurs qui, pour la plupart, refusent de jouer le jeu. Mais, Maxime Gremetz, député communiste de la Somme, accepte et interroge le ministre de l’intérieur. Le débat autour de Baby Doc s’envenime une fois de plus : Jean Pierre Chevènement qui lui répond le 25 Janvier 1998 : « en principe, Jean-Claude Duvalier est un sans-papiers comme un autre. Bien entendu, s’il fait l’objet d’un contrôle sur le territoire français et s’il ne possède pas de titre de séjour, il est susceptible de voir engager à son encontre une procédure de reconduite à la frontière, comme tout étranger en situation irrégulière dans les mêmes conditions ».

Son avocat, maître Vaisse, s’insurge contre cette déclaration et assène que son client « bénéficie d’un asile régalien ». Faux, rétorque le Cabinet de Jean Pierre Chevènement, d’autant plus que le parti socialiste, entre temps poussé par la base, adopte une motion demandant à ce que les autorités judiciaires s’en mêlent, ce qui fut fait. La justice a délivré une citation directe pour séjour irrégulier à l’encontre de Jean Claude Duvalier devant le tribunal correctionnel de Grasse. Mais, à l’audience, il n’est pas là, les organisations des droits de l’homme qui défendent les sans papiers s’insurgent : pourquoi réserver un accueil particulier à un dictateur (de père en fils), quand des honnêtes citoyens sont persécutés par la police pour séjour irrégulier ?

Le ministère de l’Intérieur fit clore le débat par cette pirouette qui en dit long sur l’ambigüité des autorités françaises quant à la présence de l’ancien dictateur haïtien sur leur sol. Quand Jean-Claude Duvalier n’est plus persona non grata dans la communauté haïtienne. Cependant, compte tenu de ce qu’a été l’aristidisme en Haïti, les intellectuels haïtiens de gauche à Paris ne le tiennent plus rigueur au fil des années. C’est une sorte d’indifférence, voire une forme de pitié qui s’installe. Même ceux qui ont perdu un parent, des frères, des s¦urs, ont ravalé leurs rancunes contre le fils de Papa doc.

Ainsi, le voit-on, de plus en plus, dans des milieux haïtiens à Paris, parfois lors des funérailles ou encore lors des communions ou baptêmes. Ironie du sort, Jean Claude Duvalier, qui a vendu son château Théméricourt dans le Val d’Oise en 1992, est un sans domicile fixe : tantôt il vit à l’hôtel (ce fut le cas pendant plus de cinq ans aux Champs Elysées, à l’hôtel Marriott appartenant à Al Fayed qui a eu ses premiers millions grâce à papa Doc), tantôt chez son fils aîné qui avait commencé des études à l’institut libre de l’économie et des relations internationales (lLERI), qu’il a abandonnées depuis.

Dans sa traversée de désert, Jean Claude Duvalier n’a trouvé personne pour l’aider, à part les chauffeurs de taxis haïtiens qui, de temps à autre, lui viennent en aide financièrement en cotisant. Ses anciens ministres, qui se sont amplement enrichis sous son règne, ne lui ont jamais manifesté la moindre solidarité.

Tout le monde a abandonné Baby Doc, y compris sa femme qui l’a quitté en 1990 pour un riche cannois. Les dettes se sont accumulées au point que l’ancien président a passé une petite annonce dans un journal local à la recherche du travail. Pour cause, en 1994, il s’est déclaré ruiné. Au magazine VSD, il a confié qu’il ne vit que grâce à la solidarité de la communauté Haïtienne. Cependant, en 2005, Jean-Claude Duvalier (aurait) reçu une bonne nouvelle, une première depuis le 7 Février 1986 : l’Etat Haïtien lui (aurait) délivré un passeport diplomatique. Mais, une fois arrivé à échéance (si tel est le cas), rien ne dit que le gouvernement en place voudrait lui renouveler son passeport. En tout cas, un retour éventuel de Jean-Claude Duvalier dans son pays fera, qu’on le veuille ou non, l’objet de négociation entre Français et Haïtiens




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