Mise à jour le 26 septembre
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Dimanche 13 octobre 2024 06:58 (Paris)

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LETTRES DE LOIN EN LOIN : LA VIE EST UN SONGE

C’est la rencontre de deux personnalités que tout semblait éloigner. Mais l’histoire se joue des hommes et de leur détermination. Elle est, en dehors de ses empoignes sanglantes, faite heureusement de caprices et de métamorphoses fécondes. Et la galaxie littéraire donne à voir de ces alignements ‘’d’individualités‘’comme savent le faire des planètes fatiguées de leur solitude cosmique.

Texte proposé par Roody Edme
Photo Lyonel Trouillot

Dans une sorte « d’affectueux pugilat », Sophie Boutaud de la Combe et Lyonel Trouillot correspondent. L’un est un écrivain - écrivant dans le sens où le concevait Roland Barthes, c’est-à-dire un travailleur de la langue et un écrivain engagé porteur de message et l’autre, une fonctionnaire, honorable correspondante du « gouvernement de la planète ».

Sophie Boutaud de la Combe rappelle beaucoup plus sur le petit écran, ces élégantes femmes qui sur certaines chaînes du monde nous parlent du temps qu’il fait. Lyonel Trouillot est un partisan qui assume une descendance dans la lignée d’une littérature rebelle et insulaire. C’est un écrivain du refus et de la nausée qui adore « plonger dans les chairs du monde », un objecteur de conscience.

Que peut donner cette rencontre entre une dame entraînée à la langue de bois, au parler « météorologique » où les mots sont pesés et passés au tamis du langage diplomatique et un homme qui crie, vocifère et dont on ne peut s’empêcher d’admirer le talent d’escrimeur des mots.

La vérité est que sous les oripeaux de la Sophie fonctionnaire, transparaît pour les besoins de la littérature, une femme entière dans ses propos, qui sait explorer les fractures de la condition humaine.

Une belle plume chatoyante, surprenante dans ses accents de sincérité. Et le lecteur de se laisser aller d’une traite à cet échange de mots parfois dur, parfois soft mais jamais nu d’élégance «  J’ai grand besoin d’amours d’enfance. Je veux te prendre la main quand tu portais des tresses... » lui écrit le poète. Et elle de répondre « Pour qui se souvient, l’enfance est ce voyage qui n’a pas encore commencé ».

Parfois le ton monte et atteint des sommets comme dans un orgasme profond, subit, violent « Je suis Ogou... Je sais manier les deux épées... je sais des femmes, quand elles dansent s’ouvrent à toutes les origines. Et quand les valses Congo feront le tour du monde, je suis sûr que la paix nous viendra par les hanches ».

Sans se laisser démonter par cette chevauchée syntaxique, la belle répond au poète « Je porte sous ton joug tour à tour le fouet, le lys, l’uniforme ou un collier de fleurs à même la peau... alors mes rêves pour rencontrer les tiens ôtent leurs souliers au petit matin ».

Vous comprendrez qu’on est loin du dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu. Nous sommes plutôt dans ce que Houelbeck appellerait «  la possibilité d’une île » avec en moins, la vulgarité gratuite du maître de toutes les provocations.

Ici nous sommes dans la littérature, dans la noblesse du nu artistique, dans l’érotisme voilé rappelant un certain orient littéraire cher à Baudelaire. Dans l’apesanteur scriptural de Rimbaud qui fantasmait sur le « filet bleu qui s’échappait de la pipe de Bismarck ».

Car nos correspondants causent aussi à propos de l’histoire, de la diplomatie et de guerre et de paix : « N’est-il pas vrai que l’aide, une fois le dos tourné, se change en embargo ? (En créole on appelle ça un fil à lang) » Interroge Lyonel.

Et je ne cite pas forcément dans l’ordre la réponse de sa correspondante « Viens marcher dans mes pas ou guide-moi d’une main forte vers tout l’amour à faire et les causes à défendre »

Sophie Boutaud De La Combe a une écriture qui met en scène la marche chaotique du monde à la recherche de la paix. Elle refuse de réduire l’histoire à une entreprise de conquête et d’asservissement. Son écriture est un fleuve de mots qui veut briser les digues de l’enfermement. Elle croit dans les métamorphoses, les identités multiples « D’un voyage à l’autre je pousse comme le font les plantes à chaque lunaison » et Lyonel de l’interpeller in petto «  Prends-tu mon pays pour un rite de passage ? » 

A la manière du Hussard sur le toit de Jean Giono qui traverse la Provence ravagée par le choléra, elle découvre la lâcheté ou le courage des hommes qui dressent des barricades à l’entrée des villes.

Lyonel Trouillot est resté égal à lui-même, sans concession sur ses certitudes patriotiques et le devoir d’ingérence, il s’est amusé comme un petit garçon espiègle jouant avec une poupée blonde à lui enlever tous les cils... sa correspondance est tour à tour hargneuse et tendre, fluide et éruptive.

Le volcan qui bout dans « l’homme au bâton » n’est jamais qu’endormi. Quant à son honorable correspondante à la plume érudite d’une surdouée de l’école des lettres, elle me fait penser avec Aragon « Et pendant un long jour assise à son miroir, elle peignait ses cheveux d’or... je croyais voir ses patientes mains calmer un incendie... c’était au beau milieu de notre tragédie ».




BÔ KAY NOU


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