Mise à jour le 26 septembre
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La réforme scolaire est-elle conforme à la performance des étudiants québécois…

Entrevue avec Raymond Lacombe

Par Marie Flore Domond

Sur le plan personnel, monsieur Raymond Lacombe peut s’en orgueillir d’avoir guidé avec succès la formation académique de ses enfants. À 23 ans d’âge, sa fille, Pamela Lacombe a gravi le prestigieux titre de Docteur dans le domaine médical en 2006. L’aînée de la famille a embrassé et exerce la profession d’enseignant tout comme son père, sauf qu’elle s’est orientée au niveau du primaire, tandis que ses deux garçons détiennent respectivement un baccalauréat en administration et une technique d’intervention en milieu carcéral.

Monsieur Raymond Lacombe
Enseignant au niveau secondaire à l’école
Louis-Joseph Papineau
Matière : mathématique

A la rentrée des classes, l’enseignant en la matière de mathématique du niveau secondaire a manifesté, à maintes reprises, des signes d’exaspération sous le poids excessif de la transformation de ses tâches, au point que nous lui avons demandé s’il lui était possible de faire le point sur le sujet en espérant qu’il pourra évacuer certaines frustrations de cette manière. La principale prétention de la réforme est d’enrayer le fléau du décrochage scolaire. Toutefois, la menace d’une éventualité que le mal change de place n’est pas impossible. Imaginer un instant que les enseignants, à leur tour, soient démotivés. Qu’adviendrait-il dès lors de la société québécoise ! »

Q. Vous êtes un enseignant de plus de 20 ans d’expériences. Vous êtes également un parent engagé, mais surtout un citoyen avisé. Que reprochez-vous au nouveau programme d’éducation dans son ensemble ?

R. Les récriminations de la très grande majorité des enseignants contre la réforme scolaire en cours sont nombreuses, mais je vais en relever les quatre principales :

1. L’ambiguïté : beaucoup d’enseignants ne comprennent pas la réforme et ne sont pas d’accord avec ses orientations.

2. La remise en question de certaines pratiques pédagogiques

3. La question de l’évaluation des élèves

4. Les nouvelles règles de promotion des élèves. 

C’est une réforme majeure que les gouvernements successifs se sont acharnés à instaurer malgré les mises en garde de chercheurs et spécialistes en éducation. De plus, la réforme a été implantée au secondaire malgré les résultats pour le moins mitigés au primaire et sans que le Ministère ait procédé à un véritable bilan. 

Q. Pouvez-vous nous rappeler dans quelle conjoncture que les autorités sont parvenues à la révision du système d’éducation au Québec ?

R. C’est en 1995 que le gouvernement dirigé par le parti québécois a décrété les États généraux de l’éducation. À ce moment, il était surtout question de réviser le curriculum des enfants afin de favoriser un plus grand nombre de diplômés et de lutter aussi contre le décrochage scolaire. Des objectifs, disons-le franchement très louables. Cependant, la réforme qui en a découlé a tout bouleversé et a pris une telle ampleur que tout a été remis en question avec la conséquence qu’il se vit de nos jours dans les écoles des situations bizarres sur lesquelles je ne veux pas élaborer.

Il y a, actuellement, une coalition formée de chercheurs et de professeurs en science de l’éducation qui militent pour stopper la réforme. Un des membres de cette coalition est Régine Pierre, professeure en science de l’éducation depuis 35 ans. Elle a déclaré :« Il y a deux conditions fondamentales pour réussir une réforme. La première est de bien connaître la situation qu’on veut changer pour pouvoir arrimer la réforme à cette situation. La deuxième est qu’il faut dès le départ impliquer ceux qui auront la responsabilité d’implanter la réforme. Or, ajoute-t-elle, « ces deux conditions ont été enfreintes dans l’implantation de cette réforme-là et même dans sa conceptualisation. »

Q. La réforme scolaire est en vigueur depuis 7 ans. En l’an 2000, elle a eu mail à partir à force de contestations. Or les observateurs se souviennent que l’initiative a été prise suite à un bilan des états généraux qui tenaient compte de l’avis de bon nombre d’enseignants. Comment expliquez-vous l’insatisfaction d’une grande partie de ces formateurs ?

R. Tout d’abord, il faut rappeler que des deux instances syndicales qui représentent les enseignants, la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) et l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal, une seule avait appuyé les conclusions des États généraux. L’alliance avait marqué sa dissidence. De plus, l’insatisfaction d’une grande partie des enseignants vient du fait de ce qu’ils vivent en classe. L’un des aspects irritants de la réforme est l’intégration croissante d’élèves en difficultés dans les classes régulières. Dans certaines classes, on peut retrouver des élèves à plusieurs niveaux. On demande alors aux enseignants de faire la mise à niveau selon un nouveau concept qu’on appelle « l’enseignement différencié ». Ajouté à cela, les problèmes de comportement, le manque de motivation de certains élèves, le peu de collaboration de certains parents et la tâche devient alors très lourde. De plus, les enseignants ne sont ni écoutés, ni consultés. Ils doivent coûte que coûte appliquer la réforme. Or, depuis son implantation, le Ministère a procédé à de nombreux changements dans la réforme autant dans le vocabulaire, la structure, les concepts que même des spécialistes en éducation se demandent de quelle réforme il s’agit.

Q. Quelle est votre perception d’un régime d’enseignement idéal pour la province de Québec ?

R. Il est difficile de répondre à cette question parce que nous vivons dans un monde où tout tourne autour de l’argent. (N’est-ce pas qu’on dit que l’argent est le nerf de la guerre !). L’enseignement idéal nécessiterait beaucoup plus de ressources humaines et matérielles, un meilleur encadrement des élèves, une plus grande motivation des élèves et une meilleure collaboration des parents.

Q. Y a-t-il rupture entre les anciennes méthodes et les nouvelles ?

R. Bien sûr. Au primaire, avec la réforme, les enseignants doivent privilégier l’enseignement par projet. Pour ceux qui ont des élèves forts, c’est l’idéal mais la réforme doit également s’appliquer dans tous les groupes. Or, lorsqu’il y a dans un groupe des élèves avec des problèmes de comportement ou d’apprentissage, la tâche de l’enseignant devient alors très difficile.

Q. D’après vous quels éléments qui ont été modifiés et que les autorités auraient dû maintenir ?

R. Le non redoublement des élèves est un élément de la réforme qui engendre une grande part de difficultés. Quand un élève a échoué un cours et qu’au nom de la réforme on l’a promu, il résulte que cet élève, n’ayant pas les acquis nécessaires pour accéder au niveau supérieur, a de bonne chance d’échouer de nouveau. Un autre élément qui a été modifié et qui fait problème est l’évaluation des élèves. Dans la réforme, on n’évalue plus l’élève par des examens traditionnels (examens d’étapes et de fin d’année) mais les enseignants doivent faire plutôt un bilan à partir d’examens conçus selon l’esprit de la réforme afin de constater les progrès accomplis par l’élève par rapport à lui-même.

Q. Voulez-vous dire par là que l’enseignant dispense des cours magistraux et qu’il lui incombe également d’assurer un apprentissage individuel de chaque participant ?

R. Dans l’esprit de la réforme, l’enseignant doit planifier et organiser des activités et accompagner les élèves dans leur cheminement. Or, dans la pratique, les cours magistraux sont toujours à l’honneur. Quant à l’apprentissage individuel recommandé dans les groupes de soutien (élèves faibles ou qui accusent un ou deux ans de retard), il est illusoire d’assurer un suivi individuel puisqu’il y a trop d’élèves dans ces groupes où le nombre varie de trente à trente-huit…

Q. Chaque cycle contient son lot d’apprentissage. Est-ce au niveau du secondaire qu’on commence à parler de compétences transversales ? Et en quoi consiste cette nouvelle notion ?

R. Non, le concept de compétences transversales fait partie du vocabulaire utilisé également au primaire, sauf que, autant au primaire qu’au secondaire, la très grande majorité des enseignants ne semblent pas savoir de quoi il s’agit. Le Ministère a défini les compétences transversales ainsi : "une compétence est un savoir-agir qui fait suite à l’intégration et à la mobilisation d’un ensemble de ressources (capacités, habiletés, connaissances) utilisées efficacement dans des situations similaires". Avec la réforme, le Ministère mise d’abord sur le développement des compétences au détriment de la transmission du savoir, ce qui a pour conséquences de modifier radicalement les méthodes d’enseignement. D’ailleurs, le sociologue Suisse Philippe Perrenoude que le Ministère a cité dans plusieurs de ses écrits prend ses distances à propos de ce concept. Lors d’une interview qu’il a accordée à la Presse en mars 2005, il a déclaré : « Je sais que mes travaux sont lus au Québec et qu’on s’en sert parfois pour légitimer la réforme, mais c’est bien au-delà de mon rôle qui est d’être plutôt critique.. ». Reprochant au système québécois d’avoir tout transformé en compétences, il dit ceci : « C’est un concept plus que douteux »

Q. Pour un enseignant, qu’est ce qui est le plus incommodant dans le nouveau système d’éducation ?

R. C’est d’être enfermé dans le carcan de la réforme et de ne pas pouvoir enseigner autrement que selon les approches pédagogiques inspirées de la réforme.

Q. Les élèves s’adaptent-ils rapidement, moyennement ou lentement à leurs nouvelles méthodes d’apprentissages ?

R. Tout dépend du groupe d’élèves. Les élèves forts s’adaptent rapidement, mais pour ceux qui sont faibles ou qui ont des problèmes d’apprentissage, ça devient alors plus difficile d’autant plus qu’il n’y a de moyens additionnels qui soient mis à la disposition des enseignants.

Q. Quel est le nouveau rôle de l’enseignant dans le rouage de formation ?

R. Avec la réforme, le Ministère veut changer le rôle de l’enseignant. Plutôt que de se préoccuper de ce qu’ils enseignent, les enseignants doivent désormais insister davantage sur ce que les élèves ont appris, comment ils l’ont appris et ce qu’ils font avec ce qu’ils ont appris. Ainsi, ils ne sont plus des transmetteurs de connaissances mais des accompagnateurs.

Q. La réforme a-t-elle un effet direct dans le rapport entre enseignants et parents ?

R. Pas vraiment. La réforme n’a pas amené les parents à établir une meilleure coopération avec les enseignants. Au secondaire, le pourcentage des parents (je parle pour mon école) qui viennent rencontrer les enseignants lors de la remise des bulletins demeure très faible.

Q. Y a-t-il des matières de base qui ont perdu ou gagné de leur valeur en raison de la réforme ?

R. Avant la réforme, il y avait des matières (math, français, anglais, histoire) qui étaient très importantes dans le curriculum de l’élève. Avec la réforme, toutes les matières sont importantes de telle sorte que lorsque l’enfant échoue quatre matières, il est obligé de reprendre tout le niveau – dans une classe intermédiaire dénommée : groupe d’appoint – auquel il était inscrit, quitte à refaire les cours qu’il a déjà réussis. Et, le cas échéant, il échoue une deuxième fois, cet élève serait dirigé vers une école de métier.

Q. Est-ce que la réforme est susceptible de diminuer le feu sacré d’un enseignant ?

R. C’est déjà le cas. La grande majorité des enseignants ont le sentiment d’avoir les mains liées avec la réforme. Leurs doléances en ce qui concerne le classement des élèves par exemple ne sont pas prises en compte. Tout ce qu’on leur répond : "C’est la réforme". Ainsi, beaucoup d’enseignants sont découragés et surtout amers de devoir enseigner dans des conditions qu’ils jugent inappropriées. Ils acceptent mal le rôle de simples applicateurs des programmes que veut leur faire jouer le Ministère de l’éducation.

-   Je vous remercie monsieur Lacombe d’avoir fait la lumière sur les interrogations qui préoccupent beaucoup de citoyens.

-  C’est moi qui vous remercie madame Domond




BÔ KAY NOU


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