Dans le golfe de la Gonâve se trouve l’île de la Gonâve, la plus grande des îles situées au large des côtes d’Haïti. Les autres îles sont (voir la carte) l’île de la Tortue tout au nord du pays (au large de Port-de-Paix), et l’île à Vache, au sud-ouest (au large des Cayes).
Haïti est divisé en neuf départements dirigés par un délégué nommé par le gouvernement : le Centre, le Nord, le Nord-Est, le Nord-Ouest, l’Artibonite, l’Ouest, le Sud, le Sud-Est et la Grande-Anse (voir la carte).
La capitale, Port-au-Prince, est de loin la ville la plus importante du pays, avec 1,1 million d’habitants ; elle est située au fond du golfe de la Gonâve.
Les autres agglomérations, bien plus petites, sont Cap-Haïtien au nord, Les Cayes au sud et Les Gonaïves au nord-ouest.
L’île d’Haïti compte donc deux États : à l’est, la République Dominicaine, à l’ouest, la république d’Haïti. Par ailleurs, au cours de leur histoire, les deux États n’en ont formé qu’un seul à trois reprises.
Haïti et la République Dominicaine ont en commun le colonialisme européen et de nombreuses occupations américaines, des régimes politiques corrompus à répétition, la religion catholique mêlée au vaudou, une descendance métissée afro-européenne (plus africaine qu’européenne en Haïti), de graves problèmes de santé publique, une sous-scolarisation et une faible productivité agricole. Cependant, les difficultés d’Haïti sont considérablement plus élevées qu’en République Dominicaine, car Haïti demeure le pays le plus pauvre des Amériques.
Capitale : Port-au-Prince
Population : 7,1 millions (2001)
Langues officielles : français et créole
Groupe majoritaire : créole (98,5 %)
Groupes minoritaires : français (1,5 %)
Système politique : république
Articles constitutionnels (langue) : art. 5, 24, 40, 211 et 213 de la Constitution de 1987
Lois linguistiques : la Loi sur la planification de la campagne d’alphabétisation (1961), la Loi organique du département de l’Éducation nationale (1979), la Loi autorisant l’usage du créole dans les écoles comme langue d’enseignement et objet d’enseignement (1979), le Décret organisant le système éducatif en vue d’offrir des chances égales à tous et de refléter la culture haïtienne (1982).
2 Données démolinguistiques
La population d’Haïti était estimée à 7,1 millions d’habitants en 2001. Environ 74 % de la population vit en zone rurale.
La quasi-totalité des Haïtiens, soit 95 %, descendent des esclaves noirs, le reste de la population étant constitué de Mulâtres (issus d’un métissage entre Africains et Français).
Aujourd’hui, on estime que presque 400 000 personnes (environ 5 %) parlent le français, à des degrés divers ; il s’agit d’abord d’une petite élite de riches qui habitent la banlieue située sur les hauteurs de Pétionville et fréquentent de couteux restaurants français, mais également une petite classe moyenne plus scolarisée.
Quant au créole, c’est pratiquement toute la population d’Haïti qui le parle comme langue maternelle.
Le créole haïtien fait partie des créole français parce que sa base lexicale est en grande partie fondée sur le vocabulaire français, bien que sa grammaire soit restée en grande partie d’origine africaine.
Aujourd’hui, on distingue le créole martiniquais, le créole guadeloupéen, le créole haïtien, le créole dominicain, le créole saint-lucien, le créole réunionnais, le créole guyanais, le créole seychellois, le créole mauricien, etc. La population créolophone à base française est estimée à environ 8,5 millions de locuteurs, dont sept millions en Haïti, environ un million à l’île Maurice, 600 000 à la Réunion, 380 000 à la Martinique, 425 000 à la Guadeloupe, 70 000 aux Seychelles, etc.
Lorsque deux créolophones unilingues, d’origine géographique proche (p. ex., Haïti et la Martinique ou la Guadeloupe), communiquent entre eux, il reste que l’accent, l’intonation, un nombre plus ou moins important de termes inconnus, de même que certains éléments grammaticaux et des tournures syntaxiques, peuvent entraver la compréhension, surtout lorsque les créolophones sont moins instruits. Néanmoins, même si l’intercompréhension entre les créoles des Antilles (par ex., la Martinique) et les créoles de l’océan Indien (par ex., La Réunion) est très limitée, pour ne pas dire nulle, ces langues pré
sentent des traits communs si originaux et si spécifiques qu’on ne peut douter d’une origine commune : la langue coloniale des XVIIe et XVIIIe siècles. Évidemment, un créolophone à base de français voit sa marge de compréhension rétrécir considérablement s’il parle à un créolophone à base d’anglais ; la compréhension risque de se limiter à des messages extrêmement simples.
3 Données historiques
À l’origine, l’île était peuplée par les Arawaks (ou Taïnos) et les Caraïbes. Les premiers indigènes avaient nommé leur île, selon le cas, Ayiti, c’est-à-dire « Terre des hautes montagnes », Quisqueya et Bohio. Lorsque Christophe Colomb aperçut cette île pour la première fois, l’île d’Ayiti comptait probablement quelques centaines de milliers d’habitants.
Christophe Colomb découvrit l’île en 1492 et la baptisa Española (« l’Espagnole ») que les cartographes confondront en Hispaniola (« Petite Espagne »). L’île d’Hispaniola fut organisée en colonie par Bartolomeo Colomb — le frère de Christophe — qui fonda, en 1496, la Nueva Isabela (la « Nouvelle Isabelle », du nom de la reine de Castille), laquelle deviendra plus tard Santo Domingo (Saint-Domingue, en français).
Les Espagnols soumirent les Arawaks et les Caraïbes à des travaux forcés afin d’extraire l’or des mines. En moins de vingt-cinq ans, les populations autochtones de Santo Domingo furent complètement décimées. Les Espagnols firent alors venir des Noirs d’Afrique pour remplacer les autochtones. Originaires de diverses ethnies, les esclaves noirs parlaient des langues africaines diverses. Durant tout le XVIe siècle, Santo Domingo devint la métropole des colonies espagnoles du Nouveau Monde. Dès que l’île commença à ne plus rapporter de l’or, elle suscita moins d’intérêt pour les Espagnols. Vers 1545, ceux-ci concentrèrent leurs efforts dans la partie orientale de l’île qui recelait d’or avec abondance.
3.1 La colonisation française
C’est alors que les Français s’intéressèrent à la partie occidentale de l’île. Déjà, des flibustiers et des boucaniers français s’étaient établis sur l’île de la Tortue au nord et tentaient périodiquement des incursions sur la « Grande Terre ». En dépit des efforts des Espagnols pour repousser les Français, ceux-ci finirent par occuper la partie ouest de la « Grande Terre ».
Comme la France était alors plus riche et politiquement bien plus puissante que que l’Espagne, elle investit massivement dans l’importation d’esclaves et le développement des plantations.
Sous l’impulsion du ministre Colbert, la nouvelle colonie française prit son essor. La première capitale, Le Cap (qui allait devenir Cap-Haïtien), fut fondée en 1670 par les Français. Lors du traité de Ryswick (1697), l’Espagne reconnut à la France la possession de la partie occidentale de l’île, qui devint alors la colonie de Saint-Domingue (la future Haïti), tandis que l’Espagne conservait la partie orientale qui était toujours appelée Hispaniola (la future République Dominicaine). Dans la partie française, Saint-Domingue, les Français continuèrent d’importer des esclaves noirs pour travailler dans les plantations de canne à sucre. Ces derniers avaient développé une langue particulière qui allait devenir le créole.
C’est au cours de cette période que fut appliqué le fameux Code noir, une ordonnance de Louis XIV destinée à réglementer le régime de l’esclavage et précisant les devoirs des maîtres et des esclaves. Ce Code noir, qui resta en vigueur dans toutes les Antilles, et en Guyane française jusqu’en 1848 (date de l’abolition définitive de l’esclavage par la France), fut rarement respecté. Bien que ce code ne traitât pas des questions de langue, il dépouillait l’esclave de toute son identité.
En effet, après le baptême catholique obligatoire, l’Africain devenait un Nègre et changeait de nom, abandonnant ses habitudes vestimentaires et sa langue, puis était marqué au fer rouge et affecté au travail servile.
La colonie de Saint-Domingue, qu’on appelait souvent « la Saint-Domingue française », devint la colonie européenne la plus riche de tout le Nouveau Monde.
À la fin du XVIIIe siècle, la valeur des exportations de Saint-Domingue (Haïti) dépassait même celle des États-Unis ; cette prospérité reposait sur les cultures commerciales de sucre et de café pratiquées dans de grandes plantations employant près de 500 000 esclaves noirs et encadrés par 30 000 Blancs. En 1789, à la veille de la Révolution française, la colonie de Saint-Domingue comptait plus de 700 000 esclaves, ce qui était un nombre nettement supérieur par rapport au nombre des Blancs (moins de 50 000) ; dans la partie espagnole de l’île, on ne comptait que 30 000 esclaves.
La révolte des Noirs débuta dès 1791, alors que plus de 1000 Blancs furent assassinés, et les sucreries et les caféteries, saccagées. Sous la conduite de leurs chefs — Toussaint-Louverture (dit Toussaint Bréda), Jean-Jacques Dessalines, Henri Christophe et Alexandre Pétion —, les Noirs menèrent une guerre de libération. Craignant « de voir passer dans des mains ennemies la propriété de Saint-Domingue », le représentant de la Convention à Paris, le commissaire Santhonax, proclama la liberté des esclaves le 29 août 1793, pour la province du Nord, et le 4 septembre dans la province du Sud.
Le 2 février 1794, la Convention confirma cette déclaration et étendit l’abolition de l’esclavage à toutes les colonies françaises. Toussaint-Louverture se rallia au gouvernement français, et il fut nommé général de la République et gouverneur de l’île. Mais la menace du rétablissement de l’esclavage par Napoléon amena Toussaint-Louverture à reprendre les armes contre la France.
En 1801, Toussaint-Louverture prit même possession de la partie orientale de l’île qu’il souhaitait rattacher à Saint-Domingue (Haïti). En 1802, il fut fait prisonnier par les Français qui l’internèrent au fort de Joux, dans le Jura, où il mourut des rigueurs du climat (1803). Son surnom de Louverture (ou L’Ouverture) lui serait venu des « brèches » qu’il ouvrait dans les rangs de ses ennemis (français, britanniques ou espagnols). Conscient de sa valeur comme militaire, il n’avait pas hésité à envoyer à Napoléon une lettre en commençant par ces mots : « Du Premier des Noirs au Premier des Blancs. »
Avec l’aide des Britanniques et des Espagnols, la longue guerre de libération aboutit à la défaite des armées françaises en novembre 1803. Le 30 avril 1803, Napoléon vendait la Louisiane aux États-Unis ; il allait abandonner aussi Saint-Domingue. L’indépendance de la colonie de Saint-Domingue fut proclamée le 1er janvier 1804, qui devint officiellement Haïti (provenant du mot amérindien taïno : Ayiti) la première république noire libre. Voici la déclaration de l’Acte d’indépendance :
Gonaïves, le 1er janvier 1804, an 1er de l’Indépendance
Aujourd’hui premier janvier, mil huit cent quatre, le général en chef de l’armée indigène, accompagné des généraux, chefs de l’armée, convoqués à l’effet de prendre les mesures qui doivent tendre au bonheur du pays ;
Après avoir fait connaître aux généraux assemblés ses véritables intentions d’assurer à jamais aux indigènes d’Haïti un gouvernement stable, objet de sa plus vive sollicitude ; ce qu’il a fait par un discours qui tend à faire connaître aux puissances étrangères la résolution de rendre le pays indépendant, et de jouir d’une liberté consacrée par le sang du peuple de cette île ; et, après avoir recueilli les avis, a demandé que chacun des généraux assemblés prononçât le serment de renoncer à jamais à la France, de mourir plutôt que de vivre sous sa domination et de combattre jusqu’au dernier soupir pour l’indépendance.
Les généraux, pénétrés de ces principes sacrés, après avoir donné d’une voix unanime leur adhésion au projet bien manifesté d’indépendance, ont tous juré à la postérité, à l’univers entier, de renoncer à jamais à la France, et de mourir plutôt que de vivre sous sa domination.
Fait aux Gonaïves, le 1er janvier 1804, et le 1er jour de l’indépendance d’Haïti
3.2 L’indépendance
C’est Jean-Jacques Dessalines qui avait expulsé les derniers Français et proclamé l’indépendance de Saint-Domingue. Lors de son accession à l’indépendance, Haïti était encore la partie la plus riche, la plus puissante et la plus peuplée de l’île d’Hispaniola.
Dessalines prit aussitôt le titre d’empereur en 1804 sous le nom de Jacques Ier. Le français fut utilisé comme langue officielle de facto, et ce, même si la totalité de la population parlait le créole. Seule l’élite mulâtre parlait français. Après l’assassinat de Dessalines, en 1806, le pays se scinda en deux : au nord, un royaume dirigé par Henri Christophe, au sud une république gouvernée par un mulâtre Alexandre Sabès, dit Pétion.
Les Haïtiens ne parvinrent à se maintenir que dans la partie occidentale de l’île. Le traité de Paris de 1814 rattacha à nouveau Santo Domingo à l’Espagne. La dictature imposée par l’Espagne provoqua, en décembre 1821, la révolte des Dominicains qui proclamèrent à leur tour leur indépendance. En Haïti, une période confuse ne faisait que commencer, quand on sait que, entre 1804 et 1957, quelque 24 chefs d’État sur 36 seront renversés ou assassinés.
En 1822, le président haïtien Jean-Pierre Boyer annexa la partie orientale de l’île. Toutefois, l’antagonisme entre les Noirs d’Haïti, les Créoles et les Métis hispanophones rendit l’unification de l’île pratiquement impossible. Une insurrection chassa en 1844 la garnison haïtienne de Saint-Domingue et entraîna la proclamation de la « république de Santo Domingo » (partie orientale).
Fragilisée par la menace d’une invasion haïtienne, la nouvelle république de Santo Domingo demanda l’aide de l’Espagne qui annexa à nouveau le pays (lequel redeviendra définitivement indépendant en 1865 sous le nom de República Dominicana ou République Dominicaine). En 1849, Faustin Soulouque, un Noir, se proclama empereur (Faustin Ier) d’Haïti et se lança dans une sévère répression contre les Mulâtres ; il régna en despote sur le pays pendant dix ans, avant d’être renversé, en 1859, par le Mulâtre Nicolas Geffrard, qui restaura la République et gouverna le pays jusqu’en 1867. Après avoir été mis au ban des nations, Haïti fut progressivement reconnu par la France, puis par le Saint-Siège et les États-Unis.
3.3 L’occupation américaine
Le pays fut, dans les faits, gouverné exclusivement par des Mulâtres jusqu’en 1910 et connut une période de prospérité relative. Dès 1906, les compagnies américaines commencèrent à construire des voies ferrées et à exproprier les paysans sans titres de propriété. Les Américains finirent par occuper militairement Haïti, le 28 juillet 1915. En 1918, tout le pays fut en état d’insurrection. On estime que la guérilla a fait au moins 15 000 morts. Washington mit alors en place un gouvernement soumis à ses volontés et s’engagea en contrepartie à fournir à Haïti une aide politique et économique. Au cours de cette période, Les Américains firent adopter trois lois restreignant la liberté de la presse.
Les travaux de modernisation, dont la mise en place d’une infrastructure routière, l’amélioration des techniques agricoles et le développement du réseau téléphonique furent accélérés. Toutefois, cette marche forcée vers la modernité se fit aux dépens des couches les plus défavorisées de la population. Les Haïtiens conservèrent une forte hostilité envers l’occupant américain qui n’hésitait pas, si la situation semblait l’exiger, à fusiller des Haïtiens par centaines à la fois. En août 1934, les États-Unis quittèrent Haïti. La fin de l’occupation, ajoutée aux conséquences de la crise économique mondiale, engendra le retour à l’instabilité et encouragea les velléités dictatoriales des dirigeants locaux.
3.4 La dictature des Duvalier
Arrivé au pouvoir en août 1945, Dumarsais Estimé, un militant de la cause noire, fut renversé en novembre 1949 par une junte militaire. L’exercice effectif du pouvoir resta entre les mains de l’armée jusqu’en septembre 1957, date à laquelle François Duvalier, dit « Papa Doc », un ancien membre du gouvernement d’Estimé, fut élu président de la République, grâce au soutien des Noirs qui virent en lui le moyen de mettre fin au règne des Mulâtres.
Dès le départ, François Duvalier imposa une politique répressive en interdisant les partis d’opposition, en instaurant l’état de siège et en exigeant du Parlement l’autorisation de gouverner par décrets (31 juillet 1958). Le 8 avril 1961, il prononça la dissolution du Parlement.
Le régime s’appuya sur une milice paramilitaire, les Volontaires de la sécurité nationale surnommés les « tontons macoutes ». Avec cette garde prétorienne personnelle, il neutralisa l’armée, sema la terreur dans tout le pays et parvint à étouffer toute résistance. Après des rumeurs de complot, il renforça la répression et, en 1964, il se proclama « président à vie ». Il exerça jusqu’à sa mort une implacable dictature (on compta 2000 exécutions pour la seule année 1967). En janvier 1971, une modification de la Constitution permit à François Duvalier de désigner son fils, Jean-Claude, comme successeur.
À la mort (de façon naturelle) de Papa Doc, le 21 avril 1971, Jean-Claude Duvalier, 19 ans (d’où son surnom de « Baby Doc »), accéda à la présidence de la République. Amorçant une timide libéralisation du régime, Jean-Claude Duvalier exerça une dictature dont son père aurait été fier. Puis, son régime s’enfonça dans la corruption et l’incompétence. En 1986, un soulèvement populaire renversa le fils Duvalier qui partit se réfugier dans le sud de la France et... dépenser sa fortune (ce qui est maintenant fait).
Toutefois, la fin de la dictature des Duvalier ne signifia pas la fin de la répression. Une junte militaire dirigée par le général Henri Namphy s’empara aussitôt du pouvoir. Un nouveau coup d’État remplaça la junte par le général Prosper Avril qui demeura au pouvoir de 1988 à1990. Acculé au départ en mars 1990, il démissionna pour ouvrir la voie à des élections sous contrôle international.
3.5 Un bref retour à la démocratie
Madame Ertha Trouillot, choisie par la Cour de cassation, exerça la présidence d’un gouvernement civil de transition. Jean-Bertrand Aristide, un prêtre catholique qui s’était fait l’avocat des pauvres, remporta la victoire en décembre 1990. Son accession à la présidence de la République redonna un peu d’espoir au peuple haïtien, mais, en septembre 1991, il fut renversé par une junte militaire dirigée par le général Raoul Cédras (1993) ; il se réfugia alors aux États-Unis.
Après que la situation politique et économique se fut passablement dégradée, les États-Unis décidèrent d’intervenir militairement. Les troupes américaines débarquèrent en Haïti le 19 septembre 1994. Le 15 octobre 1994, le président Aristide fut rétabli dans ses fonctions, qu’il laissa à René Préval, élu à la présidence de la République en 1995. Le mandat d’Aristide touchait à sa fin et la Constitution ne l’autorisait pas à en briguer un second consécutivement.
Élu en décembre 1995, l’ancien premier ministre René Préval entra en fonction en février 1996. Il tenta de remettre en état les infrastructures du pays. Le gouvernement haïtien dut faire face à une opposition constituée de ses anciens alliés. Cependant, ce ne fut qu’après deux années marquées de graves incidents (plusieurs assassinats politiques) que le président René Préval et cinq partis d’opposition parvirent à un accord pour former un nouveau gouvernement.
Des élections législatives ont été organisées pour mai 2000. En novembre de la même année, Jean-Bertrand Aristide fut proclamé vainqueur de l’élection présidentielle avec 91 % des suffrages exprimés. Compte tenu des irrégularités commises lors des élections, le président Aristide (seconde manière) commença un mandat controversé. Ce scrutin fut marqué par de multiples malversations et plongea à nouveau le pays dans une situation des plus confuses. De plus, le trafic de drogue a dépassé les records atteints sous la junte militaire. Quant à la classe moyenne, elle n’a pas semblé apprécier l’ancien « petit curé ». Elle lui a reproché ses sermons, ses origines, son caractère imprévisible et son emprise sur les masses. Ses adversaires considéraient Aristide comme un dangereux démagogue, voire le champion de la duplicité et du vol.
Enfin, « Titid », comme l’appelle le peuple, n’a jamais digéré les trois ans volés lors de son exil forcé à Washington. Par peur, il s’est défendu et a eu tendance à devenir plus autoritaire, comme bien d’autres l’ont fait avant lui ! Depuis les élections de 2000, c’était l’impasse entre le Lafanmi Lavalas, le parti du président, et l’Organisation du peuple en lutte, qui contrôlait le Parlement. C’est un véritable régime d’anarchie qui s’est de nouveau installé en Haïti.
Puis, le 29 avril 2004, Jean Bertrand Aristide a fini par démissionner de la présidence haïtienne, alors que sont arrivés les premiers Marines américains, avant-garde d’une force internationale envoyée par l’ONU pour ramener l’ordre dans la capitale, Port-au-Prince. Ces forces comprennent des troupes américaines, françaises, canadiennes et d’autres des Caraïbes. Peu après le départ d’Aristide, le président de la Cour de cassation d’Haïti, Boniface Alexandre, a annoncé qu’il assurait l’intérim en vertu de la Constitution. À l’issue de neuf jours d’un dépouillement chaotique, René Préval a finalement été déclaré, le 16 février 2006, vainqueur de l’élection présidentielle d’Haïti, avec 51,5 % des voix. Le jour de son investiture, le 14 mai suivant, le nouveau président déclarait en créole : « Je promets de me dévouer à la Constitution, de respecter les lois haïtiennes et de protéger la souveraineté du pays. »
Malheureusement, Haïti est resté l’un des pays les plus pauvres du monde et une partie importante de sa population survit dans des conditions très précaires. Le pays atteint un chômage officiel de 60 % et un produit intérieur brut par habitant de 469 $ US par année, une espérance de vie de moins de 50 ans pour les hommes et de 54 ans pour les femmes. D’après l’indice de développement humain des Nations unies, Haïti se classe 150e sur les 173 pays recensés. Pourtant, le temps presse pour redresser ce pays, car on estime que le nombre d’habitants pourrait atteindre les 20 millions en 2019. Or, 20 millions de personnes dans un état de misère inacceptable, aux portes des Amériques, c’est une bombe à retardement qu’il faudrait désamorcer tout de suite. Mais dans l’état actuel des choses, Haïti a un avenir sans issue. Ce pays est si pauvre et si démuni de ressources naturelles et en citoyens instruits ou formés qu’il apparaît très difficile de voir pointer quel que progrès que ce soit à l’horizon.
4 Le statut du français et du créole
La première reconnaissance officielle n’apparaît pour la première fois dans la législation haïtienne qu’en 1918, au cours de l’occupation américaine. Il est probable que les Haïtiens ont voulu ainsi manifester leur opposition à la menace que représentait la langue de l’occupant (l’anglais). Voici le libellé de cet article de la Constitution de 1918 : « Le français est la langue officielle. Son emploi est obligatoire en matière administrative et judiciaire. » Comme on le constate, la Constitution ne faisait aucune allusion au créole. Les constitutions subséquentes ont repris le même libellé. Mais en 1964 une nouvelle constitution (art. 35) a fait pour la première fois mention du créole :
Article 35
Le français est la langue officielle. Son emploi est obligatoire dans les servies publics. Néanmoins, la loi détermine les cas et conditions dans lesquels l’usage du créole est permis et même recommandé pour la sauvegarde des intérêts matériels et moraux des citoyens qui ne connaissent pas suffisamment la langue française.
La Constitution du 24 août 1983 accordait (art. 62), pour sa part, au créole le statut de langue co-nationale, avec le français :
Article 62
Le français est la langue officielle. Son emploi est obligatoire dans les servies publics. Néanmoins, la loi détermine les cas et conditions dans lesquels l’usage du créole est permis et même recommandé pour la sauvegarde des intérêts matériels et moraux des citoyens qui ne connaissent pas suffisamment la langue française.
Les langues nationales sont le français et le créole. Le français tient lieu de langue officielle de la république d’Haïti.
C’est la Constitution de mars 1987 qui rendra rend co-officiels le français et le créole (art. 5), mais le texte créole n’est pas officiel (c’est une version traduite par un militant haïtien) :
Nimewo 5
1) Sèl lang ki simante tout Ayisyen ansanm, se lang kreyòl.
2) Kreyòl ak franse, se lang ofisyèl Repiblik d Ayiti.
Article 5
1) Tous les Haïtiens sont unis par une langue commune : le créole.
2) Le créole et le français sont les langues officielles de la République.
La république d’Haïti est donc juridiquement bilingue avec le français et le créole comme langues officielles. En vertu de cette proclamation, les deux langues devraient, en principe, être employées dans tous les organismes de l’État. En réalité, le bilinguisme d’Haïti relève plus du symbole, car même la Constitution a été rédigée uniquement en français et il n’existe aucune version officielle en créole de la loi fondamentale. Toute version créole du texte constitutionnel ne relève que d’une initiative personnelle de la part des traducteurs.
L’article 213 de la Constitution a prévu une Académie haïtienne afin de normaliser la langue créole et de permettre son développement scientifique :
Nimewo 213
Yo mete yon Akademi Ayisyen pou li fikse lang kreyòl la e pou li fè l kaplab devlope anfòm, ann òd epi selon prensip lasyans.
Article 213
Une Académie haïtienne est instituée en vue de fixer la langue créole et de permettre son développement scientifique et harmonieux.
Il faut comprendre que le bilinguisme institutionnel d’Haïti est fondamentalement différent de celui institué, par exemple, au Canada aux prises avec deux peuples principaux, sans compter les autochtones. Haïti, pour sa part, ne compte qu’un seul peuple, qui parle le créole ; le français est une langue véhiculaire héritée du colonialisme. Au Canada, les deux langues officielles sont des langues maternelles parlées par la grande majorité des habitants. La situation d’Haïti se compare davantage au Burundi et au Rwanda ; dans ces deux pays, le français est co-officiel, mais la population parle le kirundi (Burundi) ou le kinyarwanda (Rwanda).
On peut consulter des extraits de la Constitution haïtienne, sous sa forme bilingue français-créole, en cliquant ICI. Évidemment, il ne s’agit pas d’une version officielle, mais d’une simple traduction (de Pòl Dejan).
5 La législation linguistique
La législation est pratiquement muette en ce qui concerne l’emploi des langues en Haïti. En fait, à part l’article 5 de la Constitution de 1987, les seuls textes juridiques portant quelque peu sur cette question sont contenus dans le Code rural et le Code du travail hérités du régime Duvalier. Ces codes sont aujourd’hui désuets et incompréhensibles pour la très grande majorité de la population, qui ne peut les lire. En fait, la « législation linguistique » la plus importante concerne le domaine de l’éducation. On peut citer quelques documents : la Loi sur la planification de la campagne d’alphabétisation (1961), la Loi organique du département de l’Éducation nationale (1979), la Loi autorisant l’usage du créole dans les écoles comme langue d’enseignement et objet d’enseignement (1979), le Décret organisant le système éducatif en vue d’offrir des chances égales à tous et de refléter la culture haïtienne (1982).
Le programme pédagogique diffusé par le ministère de l’Éducation nationale (1987-1988) définit les rôles respectifs du créole et du français dans la formation fondamentale des enfants et leur place dans le système scolaire (niveau primaire). La fonction instrumentale du créole, première langue nationale, dans le processus d’apprentissage est de jouer « un rôle d’intégration sociale et culturelle » ; il assure également « la base sociolinguistique de l’unité nationale ». Quant au français, il constitue la seconde « langue nationale » des Haïtiens : « Sa place privilégiée dans le programme de l’École fondamentale au même titre que le créole vise à l’instauration d’un bilinguisme équilibré. » L’enseignement du français doit permettre notamment l’acquisition des connaissances scientifiques et l’accès à la culture universelle.
6 La politique linguistique
Les pratiques administratives héritées de la France ont toujours favorisé le français aux dépens du créole. C’est pourquoi le français est demeuré la langue prestigieuse, le créole, la langue du peuple. On peut se demander si les dispositions constitutionnelles en matière de langue ont permis une extension de l’usage du créole à des fins officielles.
6.1 La législation et la justice
Au Parlement haïtien, le français et le créole sont effectivement utilisées par les députés, mais le français demeure très nettement prédominant ; il arrive parfois qu’un même parlementaire emploie les deux langues alternativement. Les textes de lois sont presque tous rédigés et promulgués exclusivement en français ; néanmoins, certains d’entre eux peuvent très exceptionnellement être traduits en créole. Rappelons qu’il n’existe même pas de version officielle en créole de la Constitution. Toutes sortes de considérations politiques interviennent de sorte que le créole n’obtient presque aucune place dans les documents juridiques. Il faut dire aussi que le pays est très pauvre et qu’un organisme officiel de traduction relevant de l’État — du type au Canada du « Bureau de la traduction » (ou « Translation Bureau ») — semble pour le moment exclus en Haïti.
En ce qui a trait aux tribunaux, les délibérations peuvent se dérouler en créole, mais les procès-verbaux ne paraissent qu’en français ; hors de la capitale, les juges utilisent en priorité le créole. Précisons que les articles 24.2 et 24.3 traitent des arrestations et des détentions. Selon l’article 24.3 (par. a), il faut qu’on exprime formellement, en créole et en français, les motifs de l’arrestation ou de la détention :
Nimewo 24-2
Yo pa gen dwa arete pèsonn ni yo pa gen dwa fèmen pèsonn moun nan prizon san se pa ak manda yon otorite ekri, selon pouvwa lalwa ba li, sòf si yo ta bare moun nan, nan men.
Nimewo 24-3
Men sa ki nesesè, pou yo gen dwa sèvi ak manda sa a :
a) Rezon ki fè yo arete yon moun, oubyen rezon ki fè yo fèmen yon moun nan prizon, se pou manda a esplike sa klè, ni an kreyòl, ni an franse. Manda a dwe deklare a dwe deklare tou, ki sa lalwa di sou jan yo dwe pini zak yo repwoche moun nan. [...]
Article 24.2
L’arrestation et la détention, sauf en cas de flagrant délit, n’auront lieu que sur un mandat écrit d’un fonctionnaire légalement compétent.
Article 24.3 :
Pour que ce mandat puisse être exécuté, il faut :
a) Qu’il exprime formellement en créole et en français le ou les motifs de l’arrestation ou de la détention et la disposition de loi qui punit le fait imputé ; [...]
6.2 Les services publics
Dans les services publics, le français est la première langue utilisée tant par les fonctionnaires que par le citoyen à la condition que ce dernier connaisse le français ; une fois établie, la communication peut se poursuivre uniquement en créole. Un créolophone unilingue se fait toujours servir dans la langue qu’il connaît, mais la plupart des documents écrits ne sont rédigés qu’en français. Certaines missives ou communiqués d’extrême importance peuvent néanmoins être traduits en créole.
6.3 L’école
Dans les six années du primaire, le français et le créole constituent les deux langues d’enseignement à égalité, théoriquement du moins. Les enfants reçoivent leur enseignement tantôt en français tantôt en créole. Il s’agit d’un enseignement bilingue, mais les pratiques scolaires ne semblent pas uniformes. Selon les villes, les villages, les quartiers ou les professeurs, la langue d’enseignement peut être presque exclusivement le français ou presque exclusivement le créole. Ainsi, dans la capitale, l’enseignement se fait surtout en français ; dans les petites villes et les villages de province, il se fait en créole ; dans les écoles des milieux favorisés de la capitale, on n’enseigne qu’en français. La langue d’enseignement au secondaire et à l’université reste le français. Dans toutes les écoles, les manuels scolaires sont presque tous rédigés en français, à l’exception des grammaires du créole.
Cela dit, selon le Bilan commun de pays pour Haïti, une étude publiée en 2000 par les Nations unies et le gouvernement haïtien, un tiers des enfants d’âge scolaire n’a pas accès à l’école. Qui plus est, seule une petite minorité d’enfants restera à l’école au moins quatre années consécutives. Quant aux installations, la majorité des écoles sont improvisées dans des bâtiments qui n’ont pas été conçus à cette fin. Seules 21 % d’entre elles ont l’électricité et 42 % possèdent l’eau courante.
Rappelons aussi que l’école en Haïti est obligatoire, mais pas nécessairement gratuite, et de moins en moins publique. La qualité variable de l’enseignement, les problèmes de malnutrition, les piètres conditions matérielles, l’analphabétisme des parents (au moins de 70 %), l’absence de bibliothèques publiques ou scolaires, l’éloignement des écoles et l’absence d’électricité dans les foyers sont d’autres éléments responsables du taux de scolarisation peu élevé. Seul 1,2 % de la population s’engage dans des études supérieures.
En ce qui a trait aux études supérieures, l’article 211 de la Constitution précise que tout établissement doit être subordonnée à l’approbation technique du Conseil de l’Université d’État et à une participation majoritaire haïtienne au niveau du corps professoral ainsi qu’à l’obligation d’enseigner « en langue officielle du pays » (sans en mentionner aucune d’elles) :
Nimewo 211
Anvan pou inivèsite ak lekòl siperyè prive konsmanse mache nan peyi a, fòk yo jwenn pèmisyon pou sa nan men konsèy inivèsite deta a. Men lòt kondisyon toujou : se Ayisyen ki dwe Ayisyen. Pi fò kou yo, dwe fèt nan lang ofisyèl peyi a.
Article 211
L’autorisation de fonctionner des universités et des écoles supérieures privées est subordonnée à l’approbation technique du Conseil de l’Université d’État, à une participation majoritaire haïtienne au niveau du capital et du corps professoral ainsi qu’à l’obligation d’enseigner notamment en langue officielle du pays.
Dans les faits, la langue officielle dont il s’agit ici est le français, pas le créole, l’autre langue officielle. Manifestement, les rédacteurs de la Constitution n’ont pas vu l’incohérence de cette disposition.
6.4 Les médias
L’article 40 de la Constitution porte sur la question des médias, ou plutôt de la publicité. L’État s’engage à diffuser à la fois en français et en créole les informations relavant de la vie de l’État :
Nimewo 40
Leta dwe sèvi ak radyo, ak jounal, ak televizyon pou li gaye bon enfòmasyon, an kreyòl ak an franse, sou tou sa ki an rapò ak vi peyi a. Anwetan sa ki ta yon danje pou peyi a, Leta dwe bvay enfòmasyon sou lwa, sou dekrè ak sou regleman li mete deyò. Menm jan tou, pou antant, kontra, ak papye li syen ak lòt peyi.
Article 40
Obligation est faite à l’État de donner publicité par voie de presse parlée, écrite et télévisée, en langues créole et française aux lois, arrêtés, décrets, accords internationaux, traités, conventions, à tout ce qui touche la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la sécurité nationale.
Dans les médias, le créole est la langue la plus utilisée à la radio. C’est l’un des rares domaines où la progression du créole a connu un véritable succès. Dans les années soixante, la presque totalité des stations de radio diffusaient en français. La situation s’est complètement inversée. Parmi la trentaine de stations radiophoniques — les stations de radio sont généralement petites en Haïti, mais elles sont relativement nombreuses et possèdent un faible rayon de diffusion — que compte Haïti, la plupart ne diffusent qu’en créole, même dans la capitale. Même si la plupart des stations portent un nom français (Radio Antilles Internationales, Radio Cacique, Radio Caraïbes, Radio Céleste, Radio Galaxie, Radio Haiti-Inter, Radio Mélodie, etc., mais Radio Kiskeya, Radio Kadans, Radio Lakansyèl, Radio Timoun, etc.), c’est le créole qui domine massivement. Une station, Radio-Métropole, diffuse en français et en espagnol, alors qu’une autre, Radio-Lumière (FM), est bilingue français-anglais. Aucune station de radio n’est unilingue française. Quant à la télévision, c’est l’anglais qui y domine, suivi du français ; le créole est bon dernier. Cette prédominance de l’anglais (PVS Antenne 16, Télé Haiti, TVA, Fondation 1994, etc.) s’explique par le fait que la majorité des chaînes de télévision diffusent des émissions américaines.
La presse écrite est très majoritairement en langue française. Les quotidiens tels que Le Matin et Le Nouvelliste ne paraissent qu’en français. Parmi les revues, hebdomadaires et mensuels (Haïti en Marche, Haïti Observateur, Haïti Progrès, Le Messager du Nord-Ouest, Le Moniteur, L’Union, etc.), quelques rares journaux sont publiés en créole, parmi lesquels Jounal Libèté, Boukan, Bon Nouvèl, Solèy Leve, etc. Quelques périodiques consacrent régulièrement au créole une ou deux pages. Un périodique paraît en anglais, le Haitian Times.
6.5 L’affichage
La liberté complète d’expression et d’usage règne dans le domaine de l’affichage en Haïti. Les pratiques sont réparties de façon fonctionnelle. L’affichage des édifices gouvernementaux ne paraît qu’en français. Les édifices et organismes municipaux portent des inscriptions unilingues françaises dans la capitale (Port-au-Prince) et parfois bilingues (français-créole) dans les villes de provinces. La monnaie, les timbres, la toponymie et la signalisation routière sont également en français.
La diversité est très grande en ce qui concerne l’affichage commercial. Les grands magasins et les grandes entreprises de la capitale affichent seulement en français, les moyennes entreprises en français et en créole, les petites en créole. Les entreprises d’import-export et toutes les entreprises faisant du commerce international utilisent l’anglais et le français de même que les boutiques pour touristes ; c’est donc dire que le trilinguisme est relativement fréquent en Haïti, particulièrement dans la capitale.
Haïti est un État officiellement bilingue.
Ce bilinguisme est réel, mais inégal, voire déséquilibré dans certains rôles socio-politiques. Malgré son statut de langue officielle, le créole n’apparaît pas davantage comme un idiome prestigieux. On ne peut parler de diglossie en Haïti dans la mesure où la répartition inégale des langues n’est pas assurée par l’ensemble de la société. La société haïtienne n’est pas une société bilingue (moins de 10 %), mais l’État l’est, de même qu’une petite élite. Il s’agit donc d’un bilinguisme qui semble favoriser indûment le français aux dépens du créole, langue de l’immense majorité de la population. Au plan de l’État, le bilinguisme reste non seulement déséquilibré, mais diglossique, sinon symbolique. Bref, Haïti, comme bien d’autres pays d’Afrique francophone, est resté à un stade colonial, mais à avec cette différence que tout le pays parle une même langue, le créole.
Mais Haïti est en train de se doter d’une véritable politique linguistique, qui fera une place au créole tout en menant parallèlement « le combat » de la francophonie. Pour ce faire, la politique linguistique haïtienne devra viser un bilinguisme équilibré, ainsi que la réconciliation des différentes forces politiques, économiques nationales. À l’heure actuelle, la politique linguistique haïtienne ne concorde pas avec la Constitution qui a formellement reconnu le créole comme l’une des langues officielles d’Haïti. Mais, avant toute chose, il faudra régler le plus grave problème : le fait que 80 % de la population du pays, parlant et comprenant uniquement le créole, sont analphabètes. Le pays aura toujours de graves problèmes tant qu’il n’aura pas trouver une solution à cette grande inégalité.
Bibliographie
BENTOLILA, Alain. « Le créole haïtien : l’interpellation éducative » dans Diogène, Paris, n° 137, 1987, p. 69-82.
BENTOLILA, Alain et Léon Gani. « Langues et problèmes d’éducation en Haïti » dans Langages, no 61, Paris, Larousse, 1981, p. 117-127.
BERRY, P.C. « Literacy and the Question of Creole » dans Research and Resources of Haïti, New York, Papers of the Conference on Resources of Haïti, Research Institute for the Study of Man, 1969, p.104-280.
CHAUDENSON, Robert , et Pierre VERNET. L’école en créole, étude comparée des réformes des systèmes éducatifs en Haïti et aux Seychelles, Paris, ACCT, 1983, 161 p.
ENCYCLOPÉDIE MICROSOFT ENCARTA, 2004, art. « Haïti », pour la partie historique.
GAUTHIER, François, Jacques LECLERC et Jacques MAURAIS. Langues et constitutions, Montréal/Paris, Office de la langue française / Conseil international de la langue française, 1993, 131 p.
LECLERC, Jacques. Langue et société, Laval, Mondia Éditeur, coll. "Synthèse", 1992, 708 p.
PREVILOR, W. « Implications de l’introduction du créole dans l’enseignement » dans Créole et enseignement primaire en Haïti, Bloomington, Éditions Valdman, Creole Institute, 1980 p. 160-169.
SAINT-GERMAIN, Michel. La situation linguistique en Haïti, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1988, 375 p.
Nota : LA DÉCLARATION DE L’INDÉPENDANCE DE JEAN J. DESSALINES
Déclaration d’Indépendance de Haïti par J.J. Dessalines
Jean Jacques Dessalines
Jean Jacques Dessalines
Citoyens,
Ce n’est pas assez d’avoir expulsé de votre pays les barbares qui l’ont ensanglanté depuis deux siècles ; ce n’est pas assez d’avoir mis un frein aux factions toujours renaissantes qui se jouaient tour à tour du fantôme de liberté que la France exposait à vos yeux ; il faut, par un dernier acte d’autorité nationale, assurer à jamais l’empire de la liberté dans le pays qui nous a vus naître ; il faut ravir au gouvernement inhumain, qui tient depuis longtemps nos esprits dans la torpeur la plus humiliante, tout espoir de nous réasservir ; il faut enfin vivre indépendant ou mourir.
Indépendance ou la mort... Que ces mots sacrés nous rallient, et qu’ils soient le signal des combats et de notre réunion.
Citoyens, mes compatriotes, j’ai rassemblé en ce jour solennel ces militaires courageux, qui, à la veille de recueillir les derniers soupirs de la liberté, ont prodigué leur sang pour la sauver ; ces généraux qui ont guidé vos efforts contre la tyrannie, n’ont point encore assez fait pour votre bonheur... Le nom français lugubre encore nos contrées.
Tout y retrace le souvenir des cruautés de ce peuple barbare : nos lois, nos moeurs, nos villes, tout porte encore l’empreinte française ; que dis-je ? il existe des Français dans notre île, et vous vous croyez libres et indépendants de cette république qui a combattu toutes les nations, il est vrai, mais qui n’a jamais vaincu celles qui ont voulu être libres.
Eh quoi ! victimes pendant quatorze ans de notre crédulité et de notre indulgence ; vaincus, non par des armées françaises, mais par la piteuse éloquence des proclamations de leurs agents ; quand nous lasserons-nous de respirer le même air qu’eux ? Sa cruauté comparée à notre patiente modération ; sa couleur à la nôtre ; l’étendue des mers qui nous séparent, notre climat vengeur, nous disent assez qu’ils ne sont pas nos frères, qu’ils ne le deviendront jamais et que, s’ils trouvent un asile parmi nous, ils seront encore les machinateurs de nos troubles et de nos divisions.
Citoyens indigènes, hommes, femmes, filles et enfants, portez les regards sur toutes les parties de cette île ; cherchez-y, vous, vos épouses, vous, vos maris, vous, vos frères, vous, vos soeurs ; que dis-je ? cherchez-y vos enfants, vos enfants à la mamelle ! Que sont-ils devenus ?... Je frémis de le dire... la proie de ces vautours. Au lieu de ces victimes intéressantes, votre oeil consterné n’aperçoit que leurs assassins ; que les tigres encore dégouttants de leur sang, et dont l’affreuse présence vous reproche votre insensibilité et votre lenteur à les venger. Qu’attendez-vous pour apaiser leurs mânes ? Songez que vous avez voulu que vos restes reposassent auprès de ceux de vos pères, quand vous avez chassé la tyrannie ; descendrez-vous dans la tombe sans les avoir vengés ? Non, leurs ossements repousseraient les vôtres.
Et vous, hommes précieux, généraux intrépides, qui insensibles à vos propres malheurs, avez ressuscité la liberté en lui prodiguant tout votre sang ; sachez que vous n’avez rien fait si vous ne donnez aux nations un exemple terrible, mais juste, de la vengeance que doit exercer un peuple fier d’avoir recouvré sa liberté, et jaloux de la maintenir ; effrayons tous ceux qui oseraient tenter de nous la ravir encore : commençons par les Français... Qu’ils frémissent en abordant nos côtes, sinon par le souvenir des cruautés qu’ils y ont exercées, au moins par la résolution terrible que nous allons prendre de dévouer à la mort quiconque, né français, souillerait de son pied sacrilège le territoire de la liberté.
Nous avons osé être libres, osons l’être par nous-mêmes et pour nous-mêmes ; imitons l’enfant qui grandit : son propre poids brise la lisière qui lui devient inutile et l’entrave dans sa marche. Quel peuple a combattu pour nous ? Quel peuple voudrait recueillir les fruits de nos travaux ? Et quelle déshonorante absurdité que de vaincre pour être esclaves. Esclaves !... Laissons aux Français cette épithète qualificative : ils ont vaincu pour cesser d’être libres.
Marchons sur d’autres traces ; imitons ces peuples qui, portant leur sollicitude jusque sur l’avenir, et appréhendant de laisser à la postérité l’exemple de la lâcheté, ont préféré être exterminés que rayés du nombre des peuples libres.
Gardons-nous cependant que l’esprit de prosélytisme ne détruise notre ouvrage ; laissons en paix respirer nos voisins, qu’ils vivent paisiblement sous l’empire des lois qu’ils se sont faites, et n’allons pas, boutefeux révolutionnaires, nous érigeant en législateurs des Antilles, faire consister notre gloire à troubler le repos des îles qui nous avoisinent : elles n’ont point, comme celle que nous habitons, été arrosées du sang innocent de leurs habitants ; elles n’ont point de vengeance à exercer contre l’autorité qui les protège.
Heureuses de n’avoir jamais connu les fléaux qui nous ont détruits, elles ne peuvent que faire des voeux pour notre prospérité. Paix à nos voisins ! mais anathème au nom français ! haine éternelle à la France ! voilà notre cri.
Indigènes d’Haïti, mon heureuse destinée me réservait à être un jour la sentinelle qui dût veiller à la garde de l’idole à laquelle vous sacrifiez, j’ai veillé, combattu, quelquefois seul, et, si j’ai été assez heureux pour remettre en vos mains le dépôt sacré que vous m’avez confié, songez que c’est à vous maintenant à le conserver. En combattant pour votre liberté, j’ai travaillé à mon propre bonheur. Avant de la consolider par des lois qui assurent votre libre individualité, vos chefs que j’assemble ici, et moi-même, nous vous devons la dernière preuve de notre dévouement.
Généraux, et vous chefs, réunis ici près de moi pour le bonheur de notre pays, le jour est arrivé, ce jour qui doit éterniser notre gloire, notre indépendance.
S’il pouvait exister parmi vous un coeur tiède, qu’il s’éloigne et tremble de prononcer le serment qui doit nous unir.
Jurons à l’univers entier, à la postérité, à nous-mêmes, de renoncer à jamais à la France, et de mourir plutôt que de vivre sous sa domination.
De combattre jusqu’au dernier soupir pour l’indépendance de notre pays !
Et toi, peuple trop longtemps infortuné, témoin du serment que nous prononçons, souviens-toi que c’est sur ta constance et ton courage que j’ai compté quand je me suis lancé dans la carrière de la liberté pour y combattre le despotisme et la tyrannie contre laquelle tu luttais depuis quatorze ans. Rappelle-toi que j’ai tout sacrifié pour voler à ta défense, parents, enfants, fortune, et que maintenant je ne suis riche que de ta liberté ; que mon nom est devenu en horreur à tous les peuples qui veulent l’esclavage, et que les despotes et les tyrans ne le prononcent qu’en maudissant le jour qui m’a vu naître ; et si jamais tu refusais ou recevais en murmurant les lois que le génie qui veille a tes destinées me dictera pour ton bonheur, tu mériterais le sort des peuples ingrats.
Mais loin de moi cette affreuse idée. Tu seras le soutien de la liberté que tu chéris, l’appui du chef qui te commande.
Prête donc entre ses mains le serment de vivre libre et indépendant, et de préférer la mort à tout ce qui tendrait à te remettre sous le joug.
Jure enfin de poursuivre à jamais les traîtres et les ennemis de ton indépendance.
Fait aux Gonaïves, ce premier Janvier mil huit cent quatre, et le premier jour de l’indépendance d’ Haïti.
Signé : Dessalines, général en chef
Christophe, Pétion, Clerveaux, Geffrard, Vernet, Gabart, généraux de division ;
P. Romain, E. Gérin, F. Capois, Daut, Jean-Louis Francois, Férou, Cangé, L. Bazelais, Magloire Ambroise, J.-J Herne, Toussaint Brave, Yayou, généraux de brigade ;
Bonnet, F. Papalier, Morelly, Chevalier, Marion, adjudants-généraux
Magny, Roux, chefs de brigade ;
Chareron, B. Loret, Macajoux, Dupuy, Carbonne, Diaquoi aîné, Raphael, Malet, Derenoncourt, officiers de l’armée ;
Boisrond Tonnerre, secrétaire