FIFA : Lilian, expliquez-nous votre présence à Zurich ?
Lilian Thuram : Je suis à la FIFA pour discuter d’un sujet qui me tient à cœur, la drépanocytose. C’est une maladie génétique très répandue, en particulier en Afrique. Elle se traduit par une mauvaise circulation des globules rouges qui se bloquent. Les symptômes sont des douleurs récurrentes et une dégradation des tissus osseux, qui affectent particulièrement les articulations. Cela nécessite des opérations ou des transfusions, mais en Afrique, les moyens manquent. Du coup, l’espérance de vie des enfants atteints est très limitée là-bas. C’est une maladie qui se traite mais ne se guérit pas.
Pourquoi cette maladie là, plus qu’une autre ? On imagine que vous devez être sollicité à longueur de journée...
C’est une histoire de rencontre et de contexte. Mme Edwige Ebakisse-Badassou, Présidente de l’Organisation Internationale de Lutte contre la Drépanocytose (ndlr : OILD), m’a expliqué ce qu’était cette maladie. Elle est très peu connue et difficile à diagnostiquer. En Afrique, elle est un peu la maladie de la honte. C’est pourtant la maladie génétique la plus répandue au monde, mais elle est méconnue. Elle se trouve partout, sur le pourtour méditerranéen, aux Amériques, en Afrique. C’est pourquoi je veux voir avec la FIFA comment nous pourrions, ensemble, aider les malades. La première chose est de sortir cette maladie de l’ombre, en parler, débloquer des fonds pour aider la recherche à avancer, mettre en place des dispensaires là où c’est nécessaire. J’espère que nous parviendrons à trouver des synergies.
Mais vous êtes aussi très engagé dans la lutte contre le racisme, n’est-ce pas ?
Oui, car c’est un combat crucial. D’ailleurs, je suis aussi là pour présenter au Président de la FIFA un projet de fondation contre le racisme que je suis en train de mettre en place. On a tendance à diaboliser les racistes, notamment avec ce qui se passe dans les stades. Certes, il faut dénoncer, le critiquer et sanctionner les actes racistes. Mais avant toute chose, il faut expliquer ce phénomène et éduquer les gens. L’éducation sur le long terme paiera, j’en suis convaincu. Il ne faut pas se limiter à dire ’être raciste, c’est mal’, il faut aller plus loin. C’est un fléau qui n’est pas inné, nous l’avons créé en distinguant les races, alors qu’il n’y a qu’une espèce humaine. Le travail d’éducation est fondamental, d’où l’idée de cette fondation.
Vous êtes très engagé, est ce que l’on peut voir-là une direction pour votre après-carrière ?
L’engagement est important pour moi, ce n’est pas lié à ma fin de carrière, c’est quelque chose que j’ai toujours ressenti. Il est vrai que si, après le football, je peux contribuer à faire avancer une cause, je le ferai naturellement. En étant joueur de football, j’ai une notoriété très élevée et je veux utiliser cela. Je souhaite sensibiliser la société sur un certain nombre de problèmes et la faire avancer de manière positive.
Mais pour le moment, votre carrière n’est pas terminée. Racontez-nous votre saison au FC Barcelone.
J’ai vécu une belle année. J’ai d’abord été accueilli, à 34 ans, dans ce club très prestigieux, de manière très positive. Cela prouve la confiance qu’ils avaient en moi. J’ai peu joué au début, mais j’ai considéré que c’était normal : j’arrivais dans un club qui avait gagné deux championnats de suite, une Ligue des champions, donc l’effectif était bien en place. Petit à petit, j’ai gagné du temps de jeu et c’est agréable, parce qu’après tout, c’est ce que recherchent tous les joueurs ! Je n’ai pas douté, je n’ai jamais pensé que je faisais l’année de trop. Et puis cette fin de saison est excitante, tout va se jouer sur le dernier match...
Lionel Messi disait que c’était un peu l’abattement dans les vestiaires samedi dernier (ndlr : le FC Barcelone a concédé un nul contre l’Espanyol de Barcelone, qui laisse le Real Madrid maître de son destin pour être champion), quel était votre sentiment ?
Bien sûr que nous étions abattus, le contraire aurait été surprenant... Nous avions l’opportunité de virer en tête et à deux minutes du terme, nous concédons un but. Cela dit, nous allons jouer notre dernière chance à fond, c’est une évidence. Le Real Madrid possède un avantage psychologique, c’est certain. Mais ce n’est qu’un avantage psychologique.
On vous a vu très fringant lors des dernier matches de l’équipe de France. Qu’est-ce qui vous fait encore courir ?
Je suis toujours frais car je prends du plaisir, c’est aussi simple que cela. Je garde en tête que j’ai une chance inouïe : exercer un métier qui n’en n’est pas vraiment un. Je profite du plaisir d’être là, de jouer. Tant que j’aurai les capacités physiques, je donnerai mon maximum. Le jour où elles ne seront plus là, je m’arrêterai. Du coup, mon objectif est très terre à terre avec les Bleus : prendre du plaisir à chaque sortie et garder le niveau. Je sais que ce sera de plus en plus difficile, j’ai tout de même 35 ans.
Quel est votre objectif ? L’Euro 2008 ?
Je ne tire aucun plan sur la comète. Je ne sais pas si j’irai à l’Euro. J’espère juste que lorsqu’il sera temps, quelqu’un viendra me voir pour me dire : ’merci Lilian, maintenant il faut laisser ta place’. Je partirai alors avec le sourire. C’est le cycle normal : j’ai remplacé des plus vieux à mon arrivée chez les Bleus, des plus jeunes me pousseront vers la sortie !
Comment vivez-vous l’intégration des jeunes pousses en équipe nationale ?
L’arrivée de jeunes talents en équipe de France est une bonne chose. Cela dit je ne suis pas surpris, j’ai vu arriver d’autres générations avant, les Thierry Henry, David Trezeguet, Nicolas Anelka et consorts. Mais c’est une excellente émulation et cela prouve que le réservoir français est encore garni, pour le moment. Maintenant je souhaite que ces garçons-là restent longtemps en équipe de France et fassent une belle carrière, car cela vaut vraiment le coup !
Mais sentez-vous une envie forte chez ces joueurs, si jeunes et déjà starisés ?
Les vieux remettent toujours en question la mentalité des plus jeunes, c’est toujours pareil ( rires) ! En fait, dans toute génération, il y a ceux qui ont vraiment envie et les autres. Or dans les jeunes que Raymond Domenech a récemment intégré, il me semble que l’envie est là : Lassana Diarra, Abou Diaby, Samir Nasri, Karim Benzema, en sont des exemples. De toute façon, s’ils sont si précoces en équipe de France, c’est parce que le talent est là, mais aussi la faim. Le plus important, pour eux, est de savoir combien de temps cela va durer...
Et peut-on croire à Lilian Thuram en Bleu pour la Coupe du Monde 2010 ?
Ce n’est pas réaliste. Mais je pense souvent à cette compétition. J’ai un lien très fort avec l’Afrique. Je me dis que je ne pourrai pas la jouer car physiquement je ne serai pas à la hauteur, c’est évident, mais c’est dommage. J’espère donc pouvoir y participer d’une autre manière, on verra sous quelle forme.
Selon vous, quel impact peut avoir l’épreuve majeure du sport mondial sur l’Afrique ?
Avoir attribué cette épreuve majeure à l’Afrique est crucial pour ce continent qui souffre depuis toujours d’un déficit d’image. On a tendance à croire, dans le monde, que l’Afrique est un pays sans histoire, sans culture, sans civilisation, sans richesse, depuis des siècles. Or cette fausse image contribue au racisme. D’où l’importance de changer cet état de fait. J’espère vraiment que cette Coupe du Monde va permettre à tous de découvrir l’Afrique en général et l’Afrique du Sud en particulier. Il faut faire tomber les préjugés.