Mise à jour le 26 septembre
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Dimanche 13 octobre 2024 07:02 (Paris)

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Aimé CÉSAIRE ou l’extrême mélancolie du nègre fondamental

Les plus grandes voix du monde entier viennent de se faire entendre : Aimé est mort, vive Césaire. En effet, Aimé Césaire, de son nom complet Aimé Fernand David Césaire, né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe (Martinique), est décédé le 17 avril 2008 au matin au CHU Pierre Zobda Quitman de Fort-de-France. Petit-fils du premier enseignant noir en Martinique, fils d’un contrôleur des Contributions, il fut boursier pour le lycée Victor Schœlcher à Fort-de-France et, plus tard (1931), boursier du gouvernement français pour le lycée Louis-le-Grand où il rencontra d’ailleurs le poète Léopold Sédar Senghor, l’un des instigateurs du mouvement de la Négritude, l’autre compère avec qui il se liera d’amitié jusqu’à la mort de ce dernier. En septembre 1934, Césaire fonde, au contact d’amis comme Léon Gontran Damas et d’autres étudiants antillo-guyanais et africains (Guy Tirolien, Birago Diop et Léopold Sédar Senghor), le journal L’Étudiant Noir.

par Saint-John Kauss

D’où la parution pour la première fois du terme de « Négritude », concept forgé par Aimé Césaire qui, selon Frantz Fanon,1 est réducteur, c’est-à-dire doit être dépassé en réaction au projet de la France à savoir l’assimilation culturelle par l’aliénation profonde de l’Homme Noir. Il s’agissait pour ces jeunes étudiants de refuser toute forme d’oppression culturelle et de promouvoir l’Afrique et sa culture, toujours dévalorisées par le complexe de supériorité de l’Homme Blanc issu de l’idéologie colonialiste de l’époque. Le projet de la Négritude, plus culturel que politique, était pourtant nécessaire dans la mesure où il eût permis à l’Homme Noir de transcender la vision partisane et raciale du monde.

En 1935, Césaire rentre à l’École Normale Supérieure. Et durant le même été, en Dalmatie chez son ami Petar Guberina, il y débuta la rédaction du Cahier d’un retour au pays natal qu’il achèvera en 1938. Le titre de son mémoire pour sa sortie la même année de l’École Normale Supérieure : Le thème du Sud dans la littérature noire-américaine des USA. Lecture en 1936 du maître-ouvrage de Frobenius sur la civilisation africaine 2. Césaire rentre définitivement en 1939 au pays, c’est-à-dire en Martinique pour enseigner, tout comme son épouse, au lycée Schœlcher.

SUR LE PLAN CULTUREL, POLITIQUE ET RACIAL<br> Comme ce fut le cas d’Haïti à cette époque lointaine de l’Occupation américaine (1915-1934), la situation martiniquaise était de « singer » la Métropole, aliénation qui pose le problème de supériorité de telle race ou de telle culture en oubliant que l’on est tous différents et relativement valables tout dépend dans quel angle l’on se positionne. Le système colonial mis en place par les super-puissances du siècle dernier nous apprend fort en retour sur le refoulement d’identité de l’Autre, sur l’oppression profonde, l’aliénation culturelle et psychotique ainsi que sur l’assimilation comme force de conviction à l’acculturation des uns et des autres. Toute l’Afrique, y compris l’Asie et l’Amérique des Indiens à peaux rouges, furent les grands perdants de cette idéologie colonialiste, alimentant les clichés de l’indigène en difficulté et qu’il faut dompter. En matière de littérature, toutes bonnes références proviendraient de la France-mère et les rares ouvrages martiniquais de souche ne seront considérés qu’en seconde main.
C’est en réaction à cette situation d’oppressés et d’opprimés dans leur culture que le poète Aimé Césaire, appuyé par sa femme et plusieurs autres intellectuels de la région, fonda en 1941 la revue Tropiques qui disparaîtra, après maintes difficultés de parution, en 1943. Sans oublier la création du SERMAC (Service Municipal d’Action Culturelle) qui, par le biais d’ateliers d’arts populaires et du prestigieux Festival de Fort-de-France, met en évidence des parts longtemps méprisées de la culture africaine.

La poésie et la philosophie d’Aimé Césaire ont influencé des milliers d’intellectuels du tiers-monde, sinon de par le monde. Les célèbres écrivains, Frantz Fanon et Édouard Glissant, pour ne citer que ces deux-là, ont eu comme professeur de lettres au Lycée Schœlcher nul autre que le poète Aimé Césaire. Plus encore que sa présence dans l’île, la Martinique, c’est la publication de deux de ses dizaines d’écrits, en l’occurrence son Cahier d’un retour au pays natal (1939) et son Discours sur le colonialisme (1955), qui rendit le Colon difficilement cohabitable surtout dans un espace et une perspective complètement paradoxaux au concept d’origine : l’esclavage. C’est ainsi que s’est développé l’écart entre le petit-fils d’un ancien esclave devenu écrivain, Maire de Fort-de-France (1945-2001) et Député de la Martinique (1945-1993), et l’héritier des Blancs créoles, les békés, ces monarques, paraît-il, vivant encore de la Traite. Loin de sévir pour devenir l’homologue de l’homme fort du Zimbabwe, Robert Mugabe, sur le plan politique, il a plutôt favorisé le dialogue dans et par l’écriture pour les siens. En tant que parlementaire, il a travaillé au quotidien afin de favoriser les plus pauvres de Fort-de-France, des générations de paysans et campagnards, chassés par la fin de l’Habitation cannière, par son action municipale à savoir la construction, en lieu et place des cloaques et des bidonvilles, de véritables quartiers vivables avec leurs écoles, routes, dispensaires, l’eau, l’électricité, pour ainsi dire la dignité.

Si la deuxième guerre mondiale (1939-1945) avait mis un bémol à la lancée et à la reconnaissance de la Martinique sur la carte mondiale sous le régime de Vichy (blocus par les USA), mais l’œuvre et la célébrité d’un de ses fils, Aimé Césaire, auraient accéléré la venue en Martinique du Pape des surréalistes, André Breton, qui avait découvert le Cahier d’un retour au pays natal en France et qui rencontra Césaire en 1941. D’où les préfaces de Breton à l’édition bilingue du Cahier d’un retour au pays natal, publiée dans le numéro 35 de la revue Fontaine dirigée par Max-Pol Fouchet, ainsi qu’à celle du recueil Les armes miraculeuses en 1944.

LE LIEU HABITÉ : NAISSANCE D’UNE POÉSIE
Faire l’éloge du raffinement d’une culture plus qu’une autre dans cette mosaïque de peuples et de peuplades qu’est l’Afrique, les Antilles ou l’Asie, est chose d’une résonance atypique. Et comment comprendre que le lieu habité doit appartenir à autrui, ne serait-ce par le biais d’une agression malsaine au nom de la supériorité de la race ? De la race en Amérique. Césaire répliqua : « je suis de la race de ceux qu’on opprime ».

Aimé Césaire, fuyant la discrimination raciale sévissant à l’époque de ses études en France, fait partie de ces écrivains des années 40-50 qui ont donné un nouveau souffle à la littérature africaine, américaine et antillaise, une fois revenu au pays. Cette tradition de “transfert d’énergies sur un espace nouveau” connue depuis belle lurette en Europe ou en Amérique s’est aussi, par la force des événements historiques et politiques, installée dans le vécu de l’écrivain antillais. En effet, depuis Césaire, on peut remarquer que la grande majorité des écrivains caribéens quittent d’abord leur pays pour mieux s’armer d’idées et y retourner par la suite. L’expatriation aussi bien que la ténacité dans l’écriture sont vite devenues le seul recours à l’écrivain antillais conscient, encore aujourd’hui, des difficultés identitaires et des malaises de l’homme de couleur.

Aimé Césaire, à notre connaissance, a publié sept recueils de poésie :
Cahier d’un retour au pays natal (1939, 1947, 1956), Les armes miraculeuses (1946 et 1970), Soleil cou coupé (1947 et 1948), Corps perdu (1950), Ferrements (1960 et 1991), Cadastre (1961), Moi, laminaire (1982) ; quatre essais : Esclavage et colonisation (1948), Victor Schœlcher et l’abolition de l’esclavage (2004), Discours sur le colonialisme (1950, 1955 et 1989), Discours sur la négritude, Paris (1987 et 2004) ; quatre pièces de théâtre : Et les chiens se taisaient (1958 et 1997), La tragédie du roi Christophe (1963 et 1993), Une saison au Congo (1966 et 2001), Une tempête (1969 et 1997) ; un livre sur Haïti : Toussaint Louverture, la Révolution Française et le problème colonial (1962) ; et deux recueils d’entretiens : Rencontre avec un nègre fondamental, Entretiens avec Patrice Louis (2004), Nègre je suis, nègre je resterai, Entretiens avec Françoise Vergès (2005).

L’œuvre poétique d’Aimé Césaire a beaucoup été analysée surtout en Europe, aux Antilles, en Afrique et en Amérique du Sud par des étudiants et professeurs chevronnés dans des colloques et congrès, des conférences publiques, entre autres. Outre de nombreuses études sur sa poésie, on a également publié plus d’une centaine d’articles d’ordre littéraire, sociologique et politique sur son théâtre et ses écrits politiques. De plus, ses discours, particulièrement ceux sur le colonialisme et sur la négritude, ont été revisités par plusieurs chercheurs du monde entier. Au décompte3 jusqu’à nos jours, plus d’une trentaine de monographies, de thèses, d’ouvrages collectifs et d’actes de colloques ont été réalisés en son nom. Bien sûr, de nombreux colloques internationaux lui ont été consacrés en des lieux divers : Université McGill (Montréal), Université de Montréal (Montréal), à Queen’s University (Kingston, Ontario), à Paris, en Guyane, à Bamako (Afrique), à Fort-de-France, en Allemagne, en Haïti, en Guadeloupe et en Suisse.

Raphaël Confiant4, l’un des héritiers littéraires de Césaire, dans un moment de confidence extrême, s’écria quelque part : « Je retiendrai, enfin, l’immense mélancolie, rarement soulignée, qui traverse son œuvre poétique si géniale. Une mélancolie sourde, tenace, qui n’affleure jamais au premier plan, qui ne l’a jamais poussé à baisser les bras et à cesser d’agir, mais qui est là, omniprésente et qui nous révèle un homme certes préoccupé par le destin de son peuple ou de sa race, mais s’interrogeant dans le même temps sur le sens véritable de l’existence humaine. » Cette phrase, dans toute sa splendeur, nous a envoûté et même forcé à rechercher cette extrême mélancolie qui découle de l’œuvre du nègre fondamental.

Pour des raisons affectives, nous n’aborderons que l’œuvre poétique d’Aimé Césaire, laquelle, déjà très étudiée par la critique3, nous pousse à la visiter que sur le plan psychologique de la mélancolie. Nous nous contenterons donc d’analyser sa poésie qu’à travers une rétrospective publiée de l’ensemble de ses poèmes.

De la première jusqu’à sa dernière œuvre publiée, Moi, Laminaire, en 1982, la mélancolie qui est source de souffrance non d’ambiance, de regrets non d’ajustements, de sanglots non de rires, habite les revendications du poète dans son emploi du Temps et de la Mémoire, dans le champ des possibilités d’un monde meilleur. Qu’on en juge :

« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. »
(Cahier d’un retour au pays natal)

« J’habite une blessure sacrée
j ’habite des ancêtres imaginaires
j ’habite un vouloir obscur
j’habite un long silence
j’habite une soif irrémédiable
j ’habite un voyage de mille ans
j’habite une guerre de trois cent ans
j ’habite un culte désaffecté….
(Moi, Laminaire)

Toute une mélancolie qui se laisse voir au grand jour, bien entendu dans l’indifférence et dans l’incompréhension la plus totale des concernés. Freud dirait, différenciant le deuil de la mélancolie, que cette dernière est latente, multiforme et chronique, alors que le deuil est sanguinaire mais passager. C’est de cette définition qu’il faut comprendre l’ardent sanglot de Césaire, le poète, pour son peuple et pour l’humanité.

« … je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture… »
(Cahier d’un retour au pays natal)

« … pour mon rêve aux jambes de montre en retard pour ma haine de cargaison coulée… »
(Les armes miraculeuses)

Cette voix qui exprimait de la manière la plus belle et la plus forte les souffrances, non seulement des peuples noirs mais aussi de tous les peuples opprimés de la terre, de tous ceux que la colonisation, puis l’impérialisme ont jeté dans l’hécatombe du désespoir et de l’oubli, du déni de soi, cette voix n’a pas toujours été comprise par ses propres frères, les poètes. Qu’importe ! Dans un cri de défi superbe, en poussant « le grand cri nègre qui ébranlera les assises du monde », cet homme, ce poète a mis en branle des générations d’écrivains et de penseurs qui auront eu pour rôle de transcender des siècles de dénigrement de l’Homme de couleur et, du même coup, réhabiliter l’Alma Mater : l’Afrique. En effet, vinrent par la suite Edouard Glissant et son « Antillanité »6 ; Chamoiseau, Bernabé et Confiant et leur « Créolité »4, toujours en Martinique. Tout ceci explique donc la nécessité et l’importance du mouvement de la Négritude au siècle dernier. Les poèmes de Césaire et de bien d’autres poètes de l’époque ont manifestement provoqué une véritable psychanalyse des névroses (ou troubles psychologiques) que la colonisation et ses attributs avaient générées et perpétuées, chez les écrivains caribéens et à l’ensemble des gens de couleur.

La mélancolie chez Césaire est une réaction expressive dont on se doit considérer la polysémie à savoir la source des approximations et interrogations, c’est-à-dire le complexe identitaire ou la contestation totalitaire dont elle fait l’objet. Objet certain quand on pense aux faits de l’existence du peuple noir à l’époque de l’esclavage et les croisements générés dans la marginalité des cultures en filiation envers leurs ascendants. Plus encore que la mélancolie, c’est la langue utilisée qui est habitable, habitée par la violence du Verbe, par des contestations de tout ordre. Ce processus d’assignation culturelle se doit d’être fidèle dans la mesure où la comptabilité des remontrances de cette race exige le statut d’écrivain libre et indissoluble à ses pairs. Il faut d’emblée interroger ce statut dans la mesure où se développe l’écart entre l’homme noir et blanc, entre deux races de cohabitation mondaine, deux entités qui ont revové l’humanité.

« Qui et quels nous sommes ? Admirable question !
Haïsseurs. Bâtisseurs. Traîtres. Hougans. Hougans surtout. Car nous voulons tous les démons
Ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui
Ceux du carcan ceux de la houe
Ceux de l’interdiction, de la prohibition, du marronnage

et nous n’avons garde d’oublier ceux du négrier…
Donc nous chantons. »
(Cahier d’un retour au pays natal)<br>

« Liberté mon seul pirate, eau de l’an neuf ma seule soif amour mon seul sampang… »
(Les armes miraculeuses)

DOMICILIER L’AFRIQUE AUX ANTILLES
Encore à cause de cette mélancolie, cet homme blessé fut à la recherche d’une patrie imaginaire, paraît-il. Il a voulu installer dans chaque antillais la conscience de l’Afrique, la connaissance et la reconnaissance de ce continent dans les interstices de l’Homme noir et du tiers-monde. Fanon1 voulait qu’il aille plus loin malgré les mésententes de l’époque en déniant les forces occultes qui pourraient agir, conduisant par exemple à la mort de Patrice Lumumba. Mais que signifie pour lui, pour Césaire, l’acte de désigner les mots contre l’existence d’un système à l’époque infaillible ? Sans lui, Senghor, Dubois7 et consorts, on n’aurait pas d’ailleurs cette Amérique que l’on connaît actuellement, l’Amérique de monsieur Barack Obama8. Écoutons-le décrire une part de ce continent :

« Au bout du petit matin bourgeonnant d’anses frêles les Antilles qui ont faim, les Antilles grêlées de petite vérole, les Antilles dynamitées d’alcool, échouées dans la boue de cette baie, dans la poussière de cette ville sinistrement échouées. »
(Cahier d’un retour au pays natal)

On ne saurait ne pas aimer son origine géographique, son lieu d’appartenance, sa langue maternelle, sa différence morphologique, son lieu de naissance, et même sa cartographie culturelle et pathétique. Césaire insiste, avec raison, sur la part active que comporte l’écriture d’un poème, en quelque sorte l’engagement du poème et du poète à une cause.

« Donc notre enfer vous prendra au collet.
Notre enfer fera ployer vos maigres ossatures. »

« Vous
ô vous qui vous bouchez les oreilles
c’est à vous, c’est pour vous que je parle, pour vous… »
(Cahier d’un retour au pays natal)

Encore la mélancolie du désengagement ? Encore de la tristesse organisée mais dénoncée par l’activité créatrice. Encore Dieu qui brille par son absence.

« C’est moi rien que moi
qui prends langue avec la dernière angoisse … »
(Cahier d’un retour au pays natal)

« Mais Dieu ? comment ai-je pu oublier Dieu ?
je veux dire la Liberté … »
Les armes miraculeuses)

Il n’est de secret pour personne que nous, les Nègres, avons bâti de nos sueurs mauvaises cette Amérique, et que nous faisons ainsi partie de l’humanité, semble crier le poète :

« Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois….
Et je me dis Bordeaux et Nantes et Liverpool
et New York et San Francisco
pas un bout de ce monde qui ne porte mon empreinte digitale
et mon calcanéum sur le dos des gratte-ciel
et ma crasse dans le scintillement des gemmes ! »
(Cahier d’un retour au pays natal)

D’une tristesse et d’une extrême mélancolie, répétons-nous, cette écriture ne demeure pas pour autant circonscrite qu’à un seul cas de figure littéraire. Loin de nous l’idée du déni de la collectivité des littérateurs africains ou antillais qui souffrent ou ont souffert de la même tristesse et de toutes les mélancolies associées à ces segments de l’Histoire. La mélancolie chez Césaire, aussi loin d’être maladive, exprime la pulsation du collectif, d’un collectif à la recherche d’une fonction imaginaire, soit l’égalité des races et de la symbiotique appartenance à la marée humaine. Césaire, il est vrai, dans ses discours, voulait faire sauter les problématiques sociale et raciale au grand dam des entreprises coloniales. Néanmoins, il est plus que certain que cette poésie est née dans un contexte d’esprit de clan, de garnison et d’explosion. C’est ce qui expliquerait ses caractéristiques de présence dans la vie, de recours à la contestation et à la subversion. Cette mentalité, cet « esprit de garnison », selon le mot de Northrop Frye9, n’a pas du tout entravé l’écriture poétique d’un grand poète comme Césaire. Et Jean-Paul Sartre, et Breton, n’étant pas aveugles au point de refuser toute amélioration sociale de cette race, ont préféré vivre avec, ont opté de la saluer fortement au mépris de la mentalité coloniale.

Si l’un des rôles de la littérature est de faire échec au chaos, le poète Césaire, en épousant cette cause, celle de la littérature, de sa race et de l’humanité, a su renforcer le lien existant entre littérature et peuple, cette corrélation de la réception grâce à l’écriture du poème. C’est dans l’espace que le poème a le pouvoir de tout relier, de restaurer la création de l’homme, de réunir tout ce qui est disjoint à l’humanité, le poète étant lui-même présence parallèle et synesthésie poétique, absence de concrétude dans le tissu des contraires et des affrontements simultanés. La multitude, la quête de l’espace nègre, l’angoisse existentielle et raciale, se présentent ainsi comme le triptyque de cette longue marche vers la vaste unité qu’est la liberté, ce besoin presque obsessionnel du poète. Césaire, le nègre fondamental, a tout misé sur la paternité des mots puisqu’il s’agit de son élément naturel. Élément qui accompagne la pluralité des métaphores ou le dynamisme caché de son œuvre, carrefour d’aspirations et de dépassement de l’Être.

Notes
Frantz Fanon ; Peau noire, masques blancs, Paris, Maspero, 1952 ; Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961 ; Pour la révolution africaine, Maspero, 1964. La préface de Jean-Paul Sartre à Les damnés de la terre, comme à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de Senghor, fut manifestement le coup d’envoi (ou de grâce) pour la lutte anticoloniale et l’émancipation du tiers-monde, et surtout pour la consécration du mouvement de la Négritude.

Léo Frobenius : Histoire de la civilisation africaine, Paris, Gallimard, 1933.

Bernadette Cailler, Proposition poétique - Une lecture de l’œuvre d’Aimé Césaire, Sherbrooke (Québec), Naaman, 1976 ; Paris, Nouvelles du Sud, 2000 ; Lilyan Kesteloot, Aimé Césaire, Paris, Seghers, 1979 ; Clément Mbom, Le théâtre d’Aimé Césaire ou la primauté de l’universalité humaine, Paris, Nathan, 1979 ; Marcien Towa, Poésie de la négritude - Approche structuraliste, Sherbrooke, Naaman, 1983 ; Aliko Songolo, Aimé Césaire – Une poétique de la découverte, Paris, L’Harmattan, 1985 ; Albert Owusu-Sarpong, Le temps historique dans l’œuvre théâtrale d’Aimé Césaire, Sherbrooke, Naaman, 1986 ; Paris, L’Harmattan, 2002 ; Collectif, Aimé Césaire ou l’Athanor d’un alchimiste – Actes du premier colloque international sur l’œuvre littéraire d’Aimé Césaire, Paris, 21-23 novembre 1985, Paris, Éditions Caribéennes, 1987 ; Gloria Nne Onyeoziri, La parole poétique d’Aimé Césaire – Essai de sémantique littéraire, Paris, L’Harmattan, 1992 ; Victor M. Hountondji, Le Cahier d’Aimé Césaire. Éléments littéraires et facteurs de révolution, Paris, L’Harmattan, 1993 ; Gilles Carpentier, Lettre à Aimé Césaire, Paris, Seuil, 1994 ; Georges Ngal, Aimé Césaire, un homme à la recherche d’une patrie, Paris, Présence Africaine, 1994 ; Roger Toumson et Simone Henry-Valmore, Aimé Césaire, le nègre inconsolé, Paris, Syros, 1994 ; Michael E. Horn, La plurivocalité dans le « Cahier d’un retour au pays natal » d’Aimé Césaire, Thèse de doctorat, Université McGill, Montréal, 1999 ; René Henane, Aimé Césaire, le chant blessé - Biologie et poétique, Paris, Jean-Michel Place, 2000 ; Tshitenge Lubabu Muitibile K. (éd.), Césaire et Nous. Une rencontre entre l’Afrique et les Amériques au XXIe siècle, Bamako, Cauris Éditions, 2004 ; David Alliot, Aimé Césaire, le nègre universel, Gollion (Suisse), Infolio, 2008.

Co-auteur avec Patrick Chamoiseau et Jean Bernabé de Éloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1989. A publié sur Césaire : Aimé Césaire. Une traversée paradoxale du siècle, Paris, Stock, 1994.

Aimé Césaire, La poésie, Paris, Seuil, 2006.

Édouard Glissant, Le discours antillais, Paris, Seuil, 1981 ; réédition : Gallimard, 1997.

William Edward Burghardt Du Bois, Âmes noires, Paris, Présence Africaine, 1903.

Barack Obama, De la race en Amérique, Paris, Grasset, 2008.

Northrop Frye, Anatomie de la critique, Paris, Gallimard, 1969.

Œuvres d’Aimé CÉSAIRE :
Rétrospectives
Œuvres complètes (trois volumes), Fort-de-France, Desormeaux, 1976.

Poésie Cahier d’un retour au pays natal, revue Volontés, Paris, no 20, 1939 ;
Pierre Bordas, 1947 ; Paris, Présence Africaine, 1956.
Les armes miraculeuses, Paris, Gallimard, 1946 et 1970.
Soleil cou coupé, Paris, Éditions K., 1947 et 1948.
Corps perdu, Paris, Fragrance, 1950.
Ferrements, Paris, Seuil, 1960 et 1991.
Cadastre, Paris, Seuil, 1961.
Moi, laminaire, Paris, Seuil, 1982.
Cadastre (suivi de) Moi, laminaire, Paris, Seuil, 2006.
La poésie, Paris, Seuil, 1994 et 2006.

Essais
Esclavage et colonisation, Presses Universitaires de France, Paris, 1948 ; Réédition : Victor Schoelcher et l’abolition de l’esclavage, Lectoure, Le Capucin, 2004.
Discours sur le colonialisme, Paris, Réclames, 1950 ; Présence Africaine, 1955 et 1989.
Discours sur la négritude, Paris, Présence Africaine, 1987 et 2004.

Théâtre
Et les chiens se taisaient, Paris, Présence Africaine, 1958 et 1997.
La tragédie du roi Christophe, Paris, Présence Africaine, 1963 et 1993.
Une saison au Congo, Paris, Seuil, 1966 et 2001.
Une tempête, Paris, Seuil, 1969 et 1997.

Histoire
Toussaint Louverture, la Révolution Française et le problème colonial, Paris, Présence Africaine, 1962.

Entretiens Rencontre avec un nègre fondamental (Entretiens avec Patrice Louis), Paris, Arléa, 2004.
Nègre je suis, nègre je resterai (Entretiens avec Françoise Vergès), Paris, Albin Michel, 2005.




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