Mise à jour le 26 septembre
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Mercredi 16 octobre 2024 07:04 (Paris)

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Femmes victimes de violence conjugale (3)

Sous le voile des mystifications idéologiques (3e partie)

par Myrlène René

Pourquoi les femmes violentées maintiennent-elles leur union conjugale violente ?

Plusieurs hypothèses posées en rapport avec le maintien de la relation conjugale violente ont été vérifiées. Cette recherche nous permet également de constater les limites et la complexité des approches et l’absence de celles spécifiques au vécu des femmes violentées. Les connaissances acquises au cours de la recherche sont mises à profit dans le processus de l’exploration et de la pratique. Ainsi la compréhension du vécu des femmes violentées permet de soutenir l’évolution de la pratique et la nécessité d’avoir des outils d’intervention et favorise certaines pistes saillantes de travail avec la clientèle. En effet, interviewer les femmes violentées pourrait être une stratégie essentielle à développer pour la poursuite de notre recherche. Les données fournies sur les femmes violentées qui maintiennent leur union conjugale violente amènent ainsi à dégager des besoins qui doivent être comblés lors d’une intervention et d’une recherche d’aide : la nécessité pour les victimes de recevoir de l’aide complète, la nécessité de militer dans le but de sensibiliser la population des femmes violentées pour ensuite changer cet état de faits, le besoin de sécurité physique et psychologique... d’être informées de leurs droits et d’obtenir un accompagnement pour les faire valoir.

À la lumière de la revue de littérature que nous avons publiée dans les première et deuxième parties de cette recherche, nous avons pu remarquer que la source de la violence réside dans une relation biaisée au départ. Cela nous amène à reformuler notre question initiale et à dire que c’est la relation qui est biaisée au départ, qui est se transforme en source de violence.

Pour comprendre notre objet de recherche, nous adoptons l’approche sociologique du rapport hommes/femmes. Celle-ci prend son origine dans les écrits du matérialisme historique ayant émergé au XIXe et XXe siècles, et dont Karl Marx est le ténor (Elena, Gabriella, Georgio, Sylvia, Luisa 1972 : 187-188). La conception qui a été mise de l’avant par Marx est le rapport hommes/femmes où la famille en elle-même est fondée sur une structure fondamentale qui est le patriarcat. Paradoxalement, Marx veut faire comprendre que le mariage est le plus souvent fondé sur des contraintes économique, sociale et sexuelle. C ,est ce qui implique l’oppression, l’exploitation et l’aliénation des femmes. Selon Marx, c’est effectivement "par l’aliénation de la sexualité féminine que le corps des femmes est connu comme un véritable instrument de production pour autrui ". D’autant plus, les hommes savent très bien que leur niveau économique détermine la facilité avec laquelle ils se procurent des femmes. Réciproquement, c’est la beauté qui constitue une valeur de ces dernières. Marx souligne que, tant que les hommes et les femmes entreront dans un tel rapport économique, la sexualité restera un instrument de domination d’une part, et un instrument d’aliénation de l’autre (ibid : 225). Marx veut donc faire savoir qu’un mariage érigé sur un tel rapport crée la violence conjugale. Pour qu’il n’y ait pas de violence conjugale, la femme doit se libérer de toutes mystifications idéologiques. C’est-à-dire que :

1. il ne faut pas que la beauté soit une fonction de survie pour la femme par l’attrait qu’elle exerce sur l’homme.

2. il ne faut pas que la femme soit exposée économiquement à élever des enfants.

Même si la femme conçoit des enfants, c’est l’État qui devrait s’en occuper, parce que les enfants rapporteraient beaucoup plus à l’État qu’à leur mère. Ce sont les enfants qui vont devenir des armées, des ministres etc. Dans cette alternative suggérée par Marx, faut-il bannir le mariage afin de libérer la femme de toutes ses contraintes et ainsi solutionner le problème de la violence conjugale ?

L’approche de Pierre Bourdieu sur les classes sociales (Actes de la recherche en sciences sociales, 1984) s’avère importante ici compte tenu du contexte économique. Bourdieu distingue trois types de capital : le capital économique, social et symbolique. Les femmes investissent donc dans le capital symbolique pour avoir le capital social parce qu’elles n’ont pas l’économique. C’est dans cette optique que, dans la perspective de Bourdieu, les femmes restent dans la relation conjugale violente. À notre avis, elles veulent sauvegarder non seulement le capital économique, mais le plus souvent la vision sociale, le prestige du mariage et des enfants.

Pour saisir le maintien de la relation conjugale violente en terme de rapport dominant-dominé, nous nous sommes appuyés sur les travaux de l’équipe de Zurich et Lyon (1990) qui, s’inspirant d’une approche sociologique du phénomène, définit la violence conjugale comme une expression de domination de l’homme sur la femme, ou plus précisément le symptôme d’un déséquilibre social du pouvoir. La violence conjugale devient donc la manifestation d’un rapport de force, un moyen pour exercer un pouvoir. À partir de cette position, l’équipe de Zurich détermine que ce déséquilibre du pouvoir entre hommes et femmes au niveau social, l’attribution à l’homme du rôle dominant, encourage des comportements violents. C’est ce qui fait qu’une menace latente de violence suffit pour maintenir le rapport de domination (Cattori, 1990 : 20-21).

Définissons maintenant les concepts clés de la problématique que nous avons exposée précédemment. L’un des plus directement lié à notre problématique, à savoir les raisons poussant les femmes violentées à demeurer dans une relation de violence, est évidemment celui de relation violente. Elle peut être définie comme une relation à l’intérieur de laquelle le rapport homme/femme, dans une relation d’amour, est transmuté en un rapport dominant-dominé, source d’un rapport de forces parfois physique dans lequel l’homme inflige des blessures à sa femme et l’abuse sexuellement. Cette violence a une composante psychologique et morale. Elle se traduit par le biais d’insultes, de menaces et d’injures.

Notez bien ceci : quand une pratique est très largement consentie ou acceptée par les membres d’une collectivité, elle n’est pas un problème social. Par contre, elle le devient quand elle est largement contestée et provoque des dégâts tant au niveau social que psychologique. Dans ce cas, une telle pratique, d’emblée, est un problème social. Par exemple, la drogue, dans les années 60, n’était pas un problème social. Maintenant, elle l’est.

Définissons maintenant les concepts de relation homme/femme et de rapport dominant-dominé utilisés dans la définition précédente. Une relation homme-femme est selon les idéaux populaires, une association entre deux êtres de sexe opposé basée en partie sur l’intérêt commun et idéalement en majeure partie sur le sentiment amoureux réciproque. Par ailleurs, une relation violente de dominant-dominé est un rapport se retrouvant nécessairement dans toute relation violente qui constitue une dégénération de la relation homme-femme où ne subsiste que le rapport d’intérêt institué entre les deux parties. Notons que cette relation dominant-dominé est parfois volontaire et, par conséquent, juste, comme le fait remarquer Aristote dans Éthique à Nicomaque, lorsque l’intérêt est partagé par les deux parties et que la relation n’est pas établie sous la menace ou la contrainte et le plus souvent involontaire, donc injuste, lorsque la relation n’est basée que sur l’intérêt particulier d’une partie, en l’occurrence masculine, intérêt qui est imposé par la force, la violence et la menace à la partie féminine.

Une des bases de cette relation dominant-dominé, instituée à l’intérieur des couples où règne la violence, est l’aliénation de la sexualité féminine. Définissons-la.

La sexualité féminine est aliénée, en ce sens que la femme consent, consciemment ou non, à être réduite par son conjoint au rang de simple objet sexuel et producteur d’enfants en vertu de certaines incapacités, perçues ou réelles, de certaines craintes ou de certaines influences, en somme, de certains facteurs que nous tenterons de cerner par la vérification de nos hypothèses.

La deuxième base de cette relation dominant-dominé, qui constitue la contrepartie, l’autre versant de l’aliénation sexuelle féminine, est l’aliénation monétaire masculine d’où découle directement l’insécurité financière de la femme comme facteur la poussant à demeurer au sein d’une relation violente. Tout comme la femme est considérée en tant qu’objet sexuel par son aliénation dans la relation dominant-dominé, l’homme aussi est aliéné en ce sens qu’il est considéré comme simple mode de production économique aux yeux de la femme qui ne recherche souvent que la sécurité financière dans ces déséquilibres. Donc, l’insécurité financière, la peur qu’a la femme de ne pouvoir subvenir à ses besoins, constitue un facteur la poussant à rester avec son con joint violent.

Parmi les autres facteurs poussant la femme à demeurer dans ce type de relation, mentionnons en vrac l’idéologie traditionnelle, l’aliénation religieuse, le mythe de l’amour, la responsabilité des enfants ainsi que l’incapacité apprise que nous définirons succinctement ci-dessous :

L’idéologie traditionnelle est l’ensemble des positions orthodoxes partagées par l’ensemble des individus d’une société. L’aliénation religieuse est une des dimensions du concept de l’idéologie traditionnelle qui correspond aux idées véhiculées par l’autorité religieuse en particulier. Le mythe de l’amour est l’idée abstraite véhiculée par l’idéologie traditionnelle selon laquelle le sentiment amoureux doit subsister partout où se forme une association d’individus de sexes opposés, mythe qui pousse les femmes à vouloir rester pour préserver ce noble sentiment, même là où il n’est plus.

Par ailleurs, l’idéologie traditionnelle prône aussi l’idée selon laquelle la femme est responsable de l’éducation des enfants dans un cadre familial père-mère-enfants qui ne doit être brisé sous aucun prétexte.

Finalement, l’idéologie traditionnelle impose et véhicule aussi un sentiment normal d’infériorité et d’incapacité à l’égard de tous les individus de sexe féminin, situation qui, une fois bien ancrée dans l’inconscient de la femme, la pousse à croire que cette idée correspond bel et bien à sa véritable nature, constituant ainsi un facteur supplémentaire la poussant à rester dans la relation conjugale violente.

Les hypothèses que nous évoquons sont les suivantes ::

1. L’idéologie traditionnelle constitue un facteur principal poussant les femmes à rester dans le relation conjugale violente

2. L’insécurité financière serait le facteur véhiculant l’influence de l’idéologie traditionnelle poussant les femmes à rester dans la relation conjugale violente.

3. La présence des enfants serait aussi un facteur, consolidant les premiers, poussant les femmes à rester : plus une femme a des enfants, plus elle est contrainte à travailler et plus elle va demeurer dans la relation violente.

Notes :

I.Au niveau régional, les différentes études sur la violence conjugale estiment que chaque année une femme canadienne sur dix est battue. Au Québec, le ministère de la santé et des services sociaux (MSSS) évalue à 300 000 le nombre de femmes battues de façon chronique par l’homme de leur vie, soit une femme de 15 ans et plus sur huit (Gratton : 1992, p.79)

II.Les statistiques de la criminalité en 1994 révèlent que dans pas moins de 40% des crimes résolus, les victimes avaient été tuées par leur partenaire ou un autre membre de la famille (Annuaire du Canada : 1997)


Références bibliographiques :

Alarie, Françoise & al. Médiation et violence conjugale, intervention, no. 91, p.32.

Bilodeau, Angèle Recherche d’aide des femmes, dépôt légal : 3e trimestre, 1987

Cattori, Michela & al. Les aux à mots : la violence conjugale au masculin, les Éditions IES, Genève, 1993

Comité des affaires sociales de l’assemblée des évêques du Québec.

Violence en héritage : réflexion pastorale sur la violence conjugale, 4e trimestre, 1989.

Elena, Gabriella & Etre exploitée des femmes Éditions des femmes, Paris, 1974

Gratton, Raymonde & al. Femmes violentées : derrière le masque du silence, Université du Québec à Montréal, 2e trimestre, 1989

Pierre, Bourdieu. Espace social et genèse des classes, actes de la recherche en sciences sociales, Juin 1994

Shee, Sandra. Des femmes victimes de violence conjugale : les femmes battues au Québec, Université de Montréal, décembre 1980.

White, Deena. Processus de recherche en sciologie, Codex I et II, hiver, 1995




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