Mise à jour le Février 2022
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Poème de Saint-John Kauss

SÉANCE

à ma femme

« Ô toi qui n’as pas eu d’enfance
Et qui demeures cette enfant perdue
Comme tu étais belle à vingt ans
… »

« J’ai tenu dans mes mains
Le noir écheveau de tes songes
Et ta chevelure emmêlée par le sel des marées
… »

(Marcel Dubé)

Tu fus cette enfant des bois
sauvage de la grande ville
celle de mon émerveillement et de mes réclusions

Ô toi que je tenais par la main en dansant
Ô toi que j’abordais sans rien comprendre
de ta félicité formulée en beauté

je ne savais pas que tu allais courir avant moi
partager ce présage qui m’était tôt destiné
celui des grands voiliers au large
qui font l’amour à la mer en douceur

je ne savais même pas ton vrai visage
mais il a fallu que cet amour sans issue
parodie les anémones avant la nuit
et puis ce soir je t’ai donné mon cœur
pour te protéger des flammes et des orages

tout cet amour en une seule nuit
de gestes incendiés et de lectures de poèmes
toute cette manipulation des feux du corps
pour devenir femme de l’alliance et de mes égarements

j’ai tenu dans mes mains sans le savoir la femme
la mère des enfants que je rêvais d’avoir
et c’était pour elle --- et pour elle seule
que j’ai quêté sel et sable des grands appareillages

tout cet amour dans la paume de ta main
qui n’attendait plus que le revers de l’autre main
tout ce sang qui coulait incliné dans tes veines
et la rumeur du vent qui s’enfermait dans chaque tempe
dans chaque cœur retenu par la nuit

je ne savais que ton prénom de femme
de chaque hôte qui divaguait aux volets de la page
de ces pages aux mille mercis pour tant de baisers de soulagement
qui m’ont accompagné comme une sangle
permanente d’éternité

car c’était pour toi et pour toi seule
que j’ai quêté sang et eau de tes yeux
parmi les gestes et paupières du quotidien

aujourd’hui il y a peut-être notre amour désaccordé
avec des mots que je ne prononcerai plus sur les murs
mais attends-toi que ma main polisse davantage le tain de ton ombre
au cycle des fibrilles de ce coeur qui marche à reculons

voilà que maintenant je mesure les distances
et la géographie de tes pupilles mouillées à l’eau du vent
que je m’inscris à l’empan des synapses autour de tes reins
rappelle-moi quand il faisait nuit sur ton ventre
quand la sueur qui coulait goutte à goutte de ton corps
ne m’entend qu’au plus profond des litanies de mon cœur

rappelle-moi que je ne fus qu’un simple passager
bègue de tendresse
qui recueillait mousses au cerne de tes yeux
qui chuchotait au vent la fragilité des amours de l’enfance

peut-être que j’oublierai les noms
des corps de femmes retenues dans leurs petites misères
surtout celle qui va d’un geste d’étonnement
ramasser le bruissement d’elles dans les cimetières
où tout s’oublie sauf le battement des syllabes
dans l’étau des sollicitations du temps agonisant
et c’était pour toi et pour toi seule
que j’ai quêté pierre et eau de ton péritoine fébrile
parmi les mots secrets dans un filet de salive

Montréal, 23 mars 2005

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